Читаем Mon traître полностью

Ou alors c’était une femme de prisonnier, saluée en hôte parce qu’elle venait d’une autre ville. Ou la mère d’un soldat de l’IRA, mort en opération, dont on saluait la mémoire. Ou encore un visiteur américain, irlandais de racines, enfoui dans un pull neuf de laine blanche à côtes torsadées, qui chancelait devant tant d’honneurs.

Une chose et une seule m’a été immédiatement familière : l’hymne national irlandais. Le Soldier Song fut mon premier repère. Il était parfois joué en début de soirée, au moment où l’on repose les bières sur les tables sans bruit, encore soucieux du jour passé. D’autres fois, l’orchestre l’interprétait en toute fin de pub, pour dire que c’était fini, juste avant d’éteindre les lumières, puis de les rallumer de la façon la plus violente qui soit, avec les ramasseurs de verres qui crient haut qu’il est temps de rentrer. J’ai toujours aimé cet instant de l’hymne. Cette communion, cette cérémonie d’appartenance, lorsque l’Irlande rappelle ses filles et ses fils au pied du drapeau. Jim n’avait plus besoin de me dire que c’était le moment. Avant même qu’il soit joué. Dans le silence d’après chansons, dans la manière qu’avaient les musiciens de prendre une autre place sur la scène, dans le flottement d’avant solennel, l’hymne était déjà commencé. Et là, au milieu de tous, debout avec tous, avec le même regard blessé, le même visage de craie, les mêmes cheveux de pluie, la même respiration fragile, j'étais comme irlandais.




*


Ce samedi 9 avril 1977, j’étais arrivé le matin même, pour quelques jours, comme d’habitude. J’avais quitté la France, Paris, le quartier de l’Europe, mon petit atelier, l’odeur du bois et du vernis, tout ce gris sans sourire, pour revenir ici et y fermer les yeux.

— Tu es ici chez toi, m’avait dit Jim un jour.

Ce n’était pas encore vrai, pas encore tout à fait. Je ne venais régulièrement en Irlande du Nord que depuis deux ans et j’avais des gestes d’invité. Je faisais sourire. Je poussais la porte d’un bar au lieu de la tirer, je regardais à gauche avant de traverser la rue, j’attendais que ma bière soit finie pour en commander une autre. Mais quand même. Voilà qu’une fois encore, j’étais parmi eux. J’étais le Français à la table de Cathy et Jim. J’étais là parce que j’étais là, parce que c’était normal, parce qu’on me saluait maintenant dans la rue, parce que des voitures du quartier me klaxonnaient, parce que je venais ici sans rien demander, sans rien exiger, sans rien expliquer et sans rien prendre. Sur Falls Road, à Divis Flats, à Whiterock, à Ballymurphy, à Short Strand, à Springfield, à Ardoyne, au Market, à Andytown, dans ces quartiers de pauvreté extrême, de beauté laide et de violence que craignent les journaux, Belfast me murmurait que j’étais un peu chez moi. Je n’étais pas le seul étranger à marcher dans ces rues. Des journalistes erraient partout, et aussi des militants de la cause irlandaise, des Allemands, des Anglais, des Hollandais, des Français qui parlaient haut, des Américains tout frissonnants d’ancêtres. Ils tournaient autour de ces lieux du combat républicain, sans pouvoir y entrer tout à fait. Lorsqu’ils poussaient la porte d’un pub, les conversations mouraient. Sans méchanceté, sans agressivité, sans rien. Elles mouraient, c’est tout. Elles cessaient de vivre, par méfiance et par habitude. Mais quand moi, je poussais la porte du club et m’asseyais à la table de Jim, les voix pensaient à autre chose. J’étais le luthier de Paris, le silencieux, celui qui vient ici pour partager le temps.


La première fois que j’ai vu mon traître, c’était ce jour-là, dans ce club-là, la veille de Pâques. J’étais levé, poings fermés le long du corps parce que les musiciens jouaient mon hymne. La tête me tournait. J’étais les yeux clos dans l’odeur de tourbe. La Chanson du soldat entrait à pleine peau. A la dernière note, la salle a applaudi. Pas comme on félicite, mais comme on remercie. J’étais bien, retombé, assis à la table, à côté de la porte. Jim était levé. Il mettait son manteau en trébuchant des manches. Cathy parlait front contre front avec une femme qui me tournait le dos. J’ai eu envie de pisser. Les toilettes sont au sous-sol, après la réserve du bar et les fûts empilés. Une dizaine d’hommes étaient là, qui refaisaient la vie. Il y avait des mains sur les épaules, des voix fortes, des serments hachés, des regards papillons, des braguettes ouvertes avant même la rigole de zinc. Il y avait du solide, du rude, du rire, de la voix cigarette, du visage cassé, du cheveu plaqué de fumée, du regard las. Et il y avait moi qui pissais, le front contre l’émail, les mains couvrantes et l’urine murmurée.

— Attention à tes chaussures, fils, a souri mon traître.

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