Читаем Mon traître полностью

Je m’étais fait à l’accent de Jim, et aussi à celui de Cathy. Je ne sais pas pourquoi. Ils avaient quelque chose de plus lent dans la parole. Comme un effort pour moi. Lorsque Jim s’adressait à moi, je comprenais presque tout. Pas tout, mais presque. Je restais le regard à ses lèvres, essayant de traduire, même si certains mots quand même, partaient devant, derrière, se perdaient en chemin.

— Tu n’as jamais entendu parler de Tyrone Meehan ?

A cet instant, par la voix de Jim, les yeux de Jim, sa bouche qui disait le respect de ce nom prononcé, j’ai su que mon traître était de ceux que célèbrent les chansons rebelles. Il s’appelait Tyrone Meehan. Tyrone Meehan, qui m’a expliqué que, pour pisser en homme, il fallait accepter de se montrer en homme. Éloigné de la rigole, le regard ailleurs, la main en paravent, cigarette oubliée au coin des lèvres.


Ce soir-là, Jim, Cathy et moi sommes rentrés à pied. Nous avons remonté Falls Road désert, brumeux, et pluvieux aussi. Comme j’aime imaginer cet instant lorsque je suis à Paris, penché sur un violon, et que je regarde les ombres de ma rue. Nous avons croisé deux blindés britanniques, et une patrouille à pied. Quatre soldats ouvraient la marche, visage passé au noir, treillis camouflés, casques, fusils pointés droit devant sur la nuit, et deux autres marchaient derrière, à reculons, s’agenouillant en position de tir au passage des voix irlandaises. Dans les rues, derrière les haies, partout les chiens aboyaient. D’une fenêtre, un gars a hurlé quelque chose que je n’ai pas compris. Une fille chantait mal, quelque part, loin devant. Les Britanniques venaient vers nous. A leur approche, Jim m’a pris par le bras pour traverser la rue. Rien d’ostensible. Juste une pression des doigts sur ma manche. Un soir, il m’avait expliqué que l’Armée républicaine irlandaise était là, partout, qui veillait sous son ciel. Si cette patrouille était attaquée, il ne fallait pas qu’un Jim, qu’une Cathy ou qu’un Antoine de Paris titubent entre le tireur et sa cible. L’IRA demandait donc à sa population de changer de trottoir à l’approche des soldats ennemis. On raconte qu’après la mort d’un enfant, heurté par un blindé devant sa maison, les habitants de sa rue avaient repeint leurs façades. Toutes les façades, barbouillées de blanc en une soirée, du sol à hauteur d’homme. Le lendemain, la ruelle était parcourue d’un long ruban clair, peint sur deux mètres de haut. C’était en mai. Deux nuits plus tard, un parachutiste écossais a été abattu d’une seule balle dans la gorge par un tireur de toit. C’est en fouillant une à une les maisons basses et en interrogeant rudement la population que les soldats ont compris. Dans cette rue aux réverbères brisés, il fallait que les intrus se détachent du sombre. Il ne fallait pas les prendre pour un passant, pour un voisin pressé, il ne fallait pas les confondre avec la noirceur des briques. Il fallait qu’ils soient visibles, qu’ils se détachent, que tout ce blanc les cerne et les offre au fusil. Les soldats britanniques devenaient ainsi ombres, et donc cibles, et donc morts. Les habitants avaient repeint en blanc les murs de leur rue, pour qu’aucun ennemi n’en réchappe.

— Je ne t’ai jamais présenté Tyrone ?

J’ai dit non. Je regardais les soldats nous regarder. Ils étaient jeunes. Ils étaient tendus. Ils marchaient sans un mot. Quelque chose crachotait dans une radio cachée. Jim chancelait. Cathy remettait sa chaussure. Tout était silence, le club était loin, les fenêtres désertes. Sur l’avenue, les derniers taxis noirs passaient lentement. Quelques cris ici, là, encore des clameurs d’ivresse. Le vent. Une mouette venue du port. L’orangé des lampadaires. Les papiers gras de frites et de poisson roulaient sur le trottoir. L’hélicoptère. Toujours il nous suivait, partout, lointain, avec son bruit de pales sèches et le blanc lumineux de son faisceau. Il ne nous suivait pas nous, pas forcément. Mais aussi nous, forcément. Et peut-être aussi moi, le Français qui marchait avec Jim, Cathy, et qui venait de rencontrer l’immense Tyrone Meehan.

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