Читаем Mon traître полностью

Il m’a demandé quel était son nom, déjà, à cette chanteuse française. Il a écrasé sa cigarette. Il m’a dit qu’il savait que je l’écoutais. Il a jeté sa tête en arrière. Il m’a dit qu’il avait un travail de merde, une vie de merde, un père de merde. Il a dit que le cessez-le-feu n’avait mené à rien. Il a dit qu’il était toujours aussi pauvre, toujours aussi catholique et toujours aussi seul. Il a dit que sa mère pleurait la nuit, le matin, le soir. Il m’a dit que, pendant trois jours, le laitier avait oublié leur porte. Il m’a dit qu’on le regardait comme on regarde un rat. Il m’a dit que ses seuls amis étaient ceux de la prison. Trois gars qu’il me présenterait un jour. Il m’a dit qu’à sa sortie il n’avait plus reconnu personne. Il m’a dit que les prisonniers avaient été oubliés. Il m’a dit que depuis la paix, le parti républicain évitait les anciens détenus. Il m’a dit que lui et ses camarades de captivité n’étaient pas assez instruits, pas assez bien, trop frustes, trop tatoués, trop barbelés pour le nouveau monde. Il m’a cité des noms que je ne connaissais pas. Des élus Sinn Féin d’Irlande du Nord, du Sud, des gamins sans passé, des gamines sans souffrance, des qui font jolis sur les affiches, des rassurants pour tous, des sortis d’on ne sait où, qui savent tenir une conversation, pas un fusil. Il m’a dit qu’il était en colère. Il m’a dit qu’il se sentait trahi. Pas par son père le traître, mais par la vie qui va. Il m’a dit que tout allait trop vite. Il m’a dit qu’il n’avait plus de repère. Il m’a dit que la guerre était simple, du noir, du blanc, un ciment de souffrance. Il m’a dit que la paix était trop chère pour les pauvres gens. Il m’a dit que hier il était lieutenant de l’IRA. Il m’a dit qu’aujourd’hui, il était un chômeur de plus. Il m’a dit qu’il n’y avait plus rien de socialiste dans tout cela. Que James Connolly, mon bel homme à col rond, s’était bien fait rouler lui aussi. Il a parlé, parlé, parlé. Il a dit que ce matin, à Ballymena, un écolier catholique qui revenait d’acheter une pizza, avait été lynché à mort et en pleine rue par des gamins protestants de son âge. Il a dit que jamais, jamais, jamais les unionistes et les loyalistes ne voudraient partager le pouvoir avec les catholiques. Il a dit qu’il ne fallait pas confondre la paix et le processus de paix. Il a dit qu’il n’y aurait jamais de paix sans justice. Il a répété des slogans de murs. Il a chanté trois mots de Piaf. Il a frotté sa barbe de fatigue. Il a dit qu’il ne m’avait rien dit. Il s’est excusé de tout cela. Il a dit qu’il avait confiance quand même. Il m’a demandé de dormir. Il a dit qu’il avait un peu bu. Qu’il était triste. Que c’était l’épuisement, la déception et la colère. Il a dit que je devais voir Tyrone. Qu’il le fallait. Pas pour le croire, mais pour le voir. Il m’a dit qu’il n’avait plus de père non plus. Que lui aussi avait été tué par les Britanniques. Pas avec une balle, mais avec de l’argent. Il m’a dit qu’il faudrait faire mon deuil de lui. Il a fredonné « No rigrette rwien ». Il s’est levé du fauteuil en soufflant. Il est monté à l’étage, dans sa chambre d’enfant. Dans ma chambre, du temps où il était soldat.


*


J’avais décidé de passer une semaine à Belfast. J’y suis resté onze jours. Le 29 décembre 2006, j’ai rencontré l’IRA. Pas l’IRA en uniforme de parade, pas les soldats enjambant les murets sous les vivats, pas ces femmes et ces hommes qui tirent des salves d’honneur au-dessus des cercueils de leurs compagnons, mais l’Armée républicaine irlandaise comme jamais je ne l’avais vue. Je marchais sur Falls Road, ce vendredi soir. Une camionnette s’est arrêtée.

— Monte, Tony, m’a dit un homme.

Il n’était ni menaçant ni souriant. Il était comme il devait. Il a ouvert la porte arrière, c’est tout. Devant, ils étaient deux. Il m’a donné des lunettes noires, verres masqués par du coton et de l’adhésif. Il m’a demandé de les plaquer sur mes yeux. Il m’a expliqué que c’était pour ma sécurité. Si nous étions interceptés, je n’avais qu’à dire que j’avais été enlevé. Nous avons roulé longtemps. Lorsque nous sommes arrivés, l’homme m’a pris par le bras. J’ai traversé une rue. Il y avait des cris d’enfants joueurs, des voix de femmes. Je me suis imaginé, masqué, fermement conduit, marchant dans l’indifférence irlandaise. Une porte s’est ouverte. J’ai senti la chaleur et le thé. On a enlevé mes lunettes. Une dame était là, cheveux gris, qui me proposait un sandwich d’œufs et d’oignons piles.

— A l’étage, a dit l’homme de la camionnette. J’avais mon pain en main, et aussi un mug brûlant.

Nous sommes entrés dans une chambre étroite. Lit, crucifix, chaise. L’homme s’est assis sur la chaise. Il m’a montré le lit. D’abord, il m’a regardé. Puis il a mis ses mains sur ses cuisses. Il était grand, le visage sec, cheveux courts et moustache grise. Il semblait embarrassé.

— Tu sais qui nous sommes ?

— Je sais.

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