Le pape et quelques ecclésiastiques complotent, comme cet abbé Astros, qui portait, cachés dans son chapeau, les messages de Pie VII contre l'archevêque Maury ! Qu'on enferme Astros au château de Vincennes ! Qu'on surveille ce pape qui, à « la plus horrible conduite, joint la plus grande hypocrisie ». Qu'on renforce les troupes qui le gardent à Savone.
Napoléon est debout devant la croisée de son cabinet de travail. Il tourne le dos à Cambacérès et à Savary. Celui-ci lui a apporté le discours que Chateaubriand a l'intention de prononcer à l'Académie française, où il vient d'être élu à la place du régicide Chénier. Ce discours rouvre les plaies !
- Je me suis entouré de tous les partis, commence Napoléon, j'ai mis auprès de ma personne jusqu'à des émigrés, des soldats de l'armée de Condé...
Il va vers Cambacérès, lui montre le texte du discours de Chateaubriand.
- Je dirais à l'auteur, s'il était devant moi : Vous n'êtes pas de ce pays-ci, monsieur. Vos admirations, vos vœux sont ailleurs. Vous ne comprenez ni mes intentions ni mes actes.
Il lève les bras, retourne vers la croisée.
- Eh bien, si vous êtes si mal à l'aise en France, sortez de France, sortez, monsieur, car nous ne nous entendrons pas, et c'est moi qui suis le maître ici. Vous n'appréciez pas mon œuvre et vous la gâteriez si je vous laissais faire. Sortez, monsieur, passez la frontière et laissez la France en paix et en union, sous un pouvoir dont elle a tant besoin.
Ce pouvoir, c'est lui qui le tient entre ses mains. Il s'immobilise devant la carte qu'il a fait dresser et qui représente les nouvelles frontières de l'Empire : cent trente départements, de Hambourg à l'Adriatique, d'Amsterdam à Rome. C'est lui qui règne sur les quarante-quatre millions d'habitants.
Il pense souvent à Alexandre Walewski.
Il se glisse dans la maison de la rue de la Victoire en compagnie de Duroc. Il a voulu que Marie Walewska soit présentée à la cour, à Marie-Louise même. Et il a aimé, fût-ce pour lui seul et quelques personnes dans le secret, que ses vies soient ainsi rassemblées.
Elle veut qu'à chaque instant il soit présent. Et il accepte.
Le temps de ces premiers mois de l'année 1811 est froid et pluvieux. Il ne quitte presque plus les Tuileries. Il aime céder à ses caprices, la surprendre par des présents, des parures et des boucles. Il la sent craintive devant l'accouchement. Il la rassure, l'entoure souvent de ses bras, malgré l'étiquette.
Le soir, lors des représentations théâtrales qui sont données dans les petits appartements, il la voit somnoler, le corps lourd.
Il est ému. C'est la première fois qu'il observe une femme grosse de lui.
Le mardi 19 mars, vers 20 heures, il attend avec la cour, dans la salle de spectacle des Tuileries. Il a chaud. Il s'approche du grand-duc de Würzburg et du prince Eugène, qui viennent d'arriver à Paris pour être les témoins de la naissance.