- Je dois penser au bonheur de ma femme, dit-il à Hortense. Les choses ne se sont pas arrangées comme je l'espérais. Elle est effarouchée des agréments de votre mère et de l'empire qu'on lui connaît sur mon esprit. Je le sais, à n'en pas douter.
Il s'arrête de marcher. C'est l'automne. Dans le parc du château de Saint-Cloud, les jardiniers entassent ici et là des feuilles mortes. Des fumerolles s'élèvent aux limites de la forêt aux couleurs rousses. Ils ont commencé à brûler les feuilles tombées.
- Dernièrement, reprend-il, je voulus aller me promener avec elle à la Malmaison. J'ignore si elle crut que votre mère y était, mais elle se mit à pleurer et je fus obligé de changer de direction.
- Quoi qu'il en soit, continue-t-il, je ne contraindrai l'Impératrice Joséphine en rien. Je me souviendrai toujours du sacrifice qu'elle m'a fait. Si elle veut s'établir à Rome, je l'en nommerai gouvernante. À Bruxelles, elle peut encore y tenir une cour superbe et faire du bien au pays. Près de son fils et de ses petits-enfants, elle serait mieux encore et plus convenablement. Mais...
Il écarte les mains. Il sait bien qu'elle ne veut rien de tout cela !
- Écrivez-lui que, si elle préfère vivre à la Malmaison, je ne m'y opposerai pas.
Rentré au château, il écrit à la hâte quelques lignes à Joséphine.
« Mon opinion était que tu ne peux être l'hiver convenablement qu'à Milan ou à Navarre ; après cela, j'approuve tout ce que tu feras, car je ne veux te gêner en rien.
« Adieu, mon amie ; l'Impératrice est grosse de quatre mois, et nomme Madame de Montesquiou gouvernante des enfants de France. Sois contente et ne te monte pas la tête. Ne doute jamais de mes sentiments.
« Napoléon »
Il garde son affection pour Joséphine, et il est attaché à Marie-Louise, qui l'émeut.
Il la suit dans cette longue galerie du château de Saint-Cloud. Elle a une démarche lourde. Il s'exclame :
- Voyez comme sa taille grossit !
Il avance à ses côtés dans la foule des dignitaires rassemblés dans la chapelle du château de Saint-Cloud. Il voit Marie-Louise qui distribue aux mères des enfants qui vont être baptisés ce dimanche 4 novembre 1810 des médaillons entourés de diamants. Il y a vingt-six enfants, dont Charles-Louis-Napoléon, le fils de Louis et Hortense, et le fils de Berthier - tous enfants de princes et de rois -, qui vont être tenus sur les fonts baptismaux par l'Impératrice et l'Empereur.
Il annonce à la foule des invités la grossesse de Marie-Louise. On l'acclame.
Il dicte une lettre à l'empereur d'Autriche pour lui notifier officiellement la nouvelle.
« J'expédie un de mes écuyers pour porter à Votre Majesté impériale la nouvelle de la grossesse de l'Impératrice sa fille. Elle est avancée de près de cinq mois. L'Impératrice se porte très bien et n'éprouve aucune des incommodités attachées à son état. Connaissant tout l'intérêt que Votre Majesté nous porte, nous savons que cet événement lui sera agréable. Il est impossible d'être plus parfaite que la femme que je lui dois. Aussi je prie Votre Majesté d'être persuadée qu'elle et moi nous lui sommes également attachés. »
Il s'immobilise. Il écoute la plume du secrétaire courir sur le papier.
Méneval lui présente le texte à signer.
Il trace d'un geste vif son nom.
1- Charles-Louis-Napoléon, le futur Napoléon III.
36.
Napoléon arpente en compagnie du grand maréchal du palais les pièces vides aux plafonds hauts. Duroc ouvre les portes dorées à deux battants. Napoléon le rejoint d'un pas vif, lui tire l'oreille.
Il convoque les architectes. Tout doit être repeint. On placera une bande matelassée haute de trois pieds le long des murs, afin que l'enfant ne se blesse pas en tombant.
Napoléon s'approche d'une croisée. Le soleil de novembre, froid, illumine les statues dorées de l'arc de triomphe du Carrousel.