Sa voix se durcit.
- Je ne veux pas rétablir la Pologne. Je ne veux pas finir mes destinées dans les sables de ses déserts. Mais je ne veux pas me déshonorer en déclarant que le royaume de Pologne ne sera jamais rétabli.
Il pense à Marie Walewska, à ce fils Alexandre, enfant d'une noble polonaise patriote et de lui, l'Empereur.
- Non, reprend-il, je ne puis prendre l'engagement de m'armer contre des gens qui m'ont témoigné une bonne volonté constante et un grand dévouement. Par intérêt pour eux et pour la Russie, je les exhorte à la tranquillité et à la soumission, mais je ne me déclarerai pas leur ennemi et je ne dirai pas aux Français : il faut que votre sang coule pour mettre la Pologne sous le joug de la Russie.
Il martèle la table.
- Rien au monde ne peut me faire souscrire à un acte déshonorant ; signer ces mots : « La Pologne ne sera pas rétablie », c'est plus que flétrir mon caractère.
Il s'éloigne de la table.
- Il faudrait que je fusse Dieu pour décider que jamais une Pologne n'existera ! Je ne puis promettre ce que je ne puis tenir.
Il revient vers Metternich. Il semble hésiter avant de parler. Voilà des mois qu'il n'a plus prononcé les mots « guerre », « armée ».
- Que l'on ne croie pas, à Saint-Pétersbourg, que je ne suis pas en mesure de faire de nouveau la guerre sur le Continent. J'ai trois cent mille hommes en Espagne, mais quatre cent mille en France et ailleurs. L'armée d'Italie est encore entière. Je pourrais, au moment où la guerre éclaterait, me présenter sur le Niémen avec une armée plus considérable qu'à Friedland.
Il sourit à Metternich. Il ne veut pas la guerre. Mais pourrait-il compter sur Vienne ? Il n'attend pas la réponse de Metternich. Il le prend par le bras, le reconduit.
- L'Impératrice vous aura dit qu'elle est heureuse avec moi, qu'elle n'a pas une plainte à formuler.
Il retient Metternich sur le seuil.
- J'espère que vous le direz à votre empereur, et il vous croira plus qu'un autre.
Il reste seul, pensif.
« Ma fille, on n'a point de nouvelles du Roi, on ne sait où il s'est retiré et l'on ne conçoit rien à cette lubie. »
« Un homme auquel j'ai servi de père. Je l'ai élevé avec les faibles ressources de ma solde de lieutenant d'artillerie, j'ai partagé avec lui mon pain et les matelas de mon lit... Où va-t-il ? Chez les étrangers, en Bohême, sous un nom d'emprunt, pour faire croire qu'il n'est pas en sûreté en France ».
« Est-ce que les Hollandais me prendraient pour un grand pensionnaire ? Je ferai ce qui est convenable au bien de mon Empire, et les clameurs des hommes insensés qui veulent savoir mieux que moi ce qui convient ne m'inspirent que du mépris. »