- Monsieur le duc de Cadore, dit-il en s'approchant de Champagny, je n'ai eu qu'à me louer des services que vous m'avez rendus dans les différents ministères que je vous ai confiés ; mais les affaires extérieures sont dans une telle circonstance que je crois nécessaire au bien de mon service de vous employer ailleurs.
Champagny baisse la tête.
Il est tendu. Il retrouve Marie-Louise dans les jardins de Trianon ou dans les parcs des châteaux de Rambouillet ou de Compiègne. Elle l'émeut, mais depuis que le roi de Rome est né c'est comme si une parenthèse heureuse de bonheur et d'insouciance s'était refermée.
Il se plie à nouveau à la discipline exigeante du travail. Parfois même, au milieu de la nuit, il s'interrompt et mesure qu'il n'a jamais autant consacré d'heures à administrer l'Empire, à dicter. Et, peu à peu, il perçoit que la machine un instant ralentie se remet en route. Il en éprouve une sorte d'exaltation. Les enjeux sont encore plus grands qu'autrefois. Il a un fils. Il tient en main toutes les cartes de l'Europe, à trois exceptions près : l'Espagne, qui est une plaie ouverte ; l'Angleterre, que la crise économique étouffe ; et la Russie, qu'il faut soumettre.
Faudra-t-il lui faire la guerre ?
- Je ne veux pas la guerre, dit-il à Maret, mais j'ai du moins le droit d'exiger que la Russie reste fidèle à l'alliance.
Il compulse les registres de ses armées. Il faut de nouveaux régiments. Il faut lever de nouvelles recrues, remonter la cavalerie et l'artillerie. Faire avancer les troupes à travers l'Allemagne, sans attirer l'attention.
- Je préfère avoir des ennemis à avoir des amis douteux, dit-il. Et cela me serait en effet plus avantageux.
Souvent, après une nuit de travail, il a l'impression que tout son corps éclate. Il a besoin de mouvement. Il chasse dans la forêt de Saint-Cloud ou de Saint-Germain. Et il se lance dans des galops effrénés, toujours à la tête de la petite troupe de généraux ou d'aides de camp qui l'accompagnent.
Il oublie, dans l'effort, les problèmes qui l'assaillent.
- S'il croit qu'il règne à Naples autrement que pour le bien général de l'Empire, dit-il à Maret, Murat se trompe. S'il ne change pas de système, je m'emparerai de son royaume et le ferai gouverner par un vice-roi d'Italie.
Il rentre. Il aperçoit Marie-Louise, assise dans le parc. Elle paraît lasse. Il a vu Corvisart, qui a déconseillé vivement une seconde grossesse. Est-il possible qu'une si jeune femme, si vigoureuse, soit à ce point marquée par l'accouchement ? Il s'assied près d'elle, la cajole. Mme de Montesquiou s'approche avec le « petit roi ».
Il le prend dans ses bras, joue avec lui quelques instants, lui fait boire quelques gouttes de chambertin, rit de ses grimaces. Tout à coup, il pense à ces années qui le séparent du moment où ce fils sera en mesure de régner.
Il tend l'enfant à Mme de Montesquiou.
Il parle à voix basse à Marie-Louise. Il faut que l'Impératrice comprenne qu'elle a, elle aussi, des devoirs, qu'elle doit - et elle le peut, puisqu'elle le doit - l'accompagner dans ce voyage qu'il va entreprendre dans l'ouest de la France, afin d'inspecter le port de Cherbourg, de vérifier que la flotte dont il a ordonné la reconstruction sera, un jour proche, capable d'affronter celle de l'Angleterre.
Il n'écoute pas les soupirs de Marie-Louise. Il ne veut pas tenir compte de sa fatigue. On quittera Rambouillet le mercredi 22 mai à 5 heures, dit-il. C'est cela, le métier de souverain.
Il le fait. Elle est Impératrice. Donc, qu'elle accepte de se plier à ses devoirs. Quand il voit son visage ennuyé, il se souvient de Joséphine qui savait écouter les compliments des notables, sourire, et repartir dans la berline pour une nouvelle course de plusieurs heures.
Le premier jour, on roule près de dix-neuf heures. Les étapes suivantes sont de douze heures. On passe à Houdan, Falaise et Caen. On séjourne à Cherbourg. Il veut visiter les navires. À bord du