Il regarde la foule silencieuse, énorme, massée derrière la haie des troupes. Il est soucieux. Personne n'applaudit, comme si cette foule était écrasée par la splendeur du cortège qui conduit le roi de Rome vers les fonts baptismaux.
Napoléon avance lentement dans la nef où se pressent les dignitaires. Lorsque son fils passe devant lui, il arrête Mme de Montesquiou, prend l'enfant, l'embrasse trois fois et l'élève à bout de bras au-dessus de sa tête.
Alors les acclamations déferlent : « Vive l'Empereur ! Vive le roi de Rome ! »
Il est joyeux quelques instants.
Dans le carrosse qui le conduit, après le baptême, de Notre-Dame à l'Hôtel de Ville, il retrouve son inquiétude.
Les chevaux de l'attelage piaffent, hennissent, sont difficiles à maîtriser.
Tout à coup, un choc. Les traits viennent de casser.
Des écuyers se précipitent pour les réparer.
Il descend du carrosse.
Il va falloir attendre.
Il n'aime pas cet incident, ce présage.
38.
La chaleur étouffante de ce dimanche 23 juin 1811 le rend nerveux.
Il est assis sous un dais, dans les jardins du château de Saint-Cloud. Il se tourne vers Marie-Louise. Des gouttes de sueur coulent sur le visage de l'Impératrice. Ses mèches sont collées à son front et à ses tempes. Elle respire bruyamment comme quelqu'un qui va s'assoupir. Il l'observe. Elle ne s'est pas remise des fatigues de l'accouchement. Elle a perdu des cheveux, son corps s'est affaissé. Le voyage à Cherbourg semble l'avoir épuisée. Et, depuis le retour à Saint-Cloud, les fêtes se sont succédé. Elles sont nécessaires.
Il entend les cris de la foule rassemblée dans le parc qui commence à s'illuminer alors que la nuit tombe sans apporter de fraîcheur. Il a voulu que des buffets soient dressés pour le peuple venu en masse. Le vin jaillit de plusieurs fontaines. Plus loin, dans le bois de Boulogne, les grenadiers de la Garde impériale banquettent. Et maintenant, pour tous, commence le feu d'artifice.
Il prend la main de Marie-Louise. Elle est moite. Les premières explosions retentissent dans le ciel bas, les gerbes de couleur éclairent les nuages. Brusquement, c'est l'averse, un souffle de vent froid.
Il ne bouge pas. Il voit les dignitaires qui n'osent pas quitter les jardins noyés sous des trombes d'eau. Les robes se collent au corps, les vêtements chamarrés sont délavés.
- Voilà des commandes pour les manufactures de l'Empire, dit-il au maire de Lyon qui se trouve assis en retrait sous le dais.
Mais le feu d'artifice est interrompu. Les trombes d'eau continuent de s'abattre, chassant la foule du parc.
Les plus grandes fêtes vont-elles toujours désormais pour lui s'achever ainsi sous l'orage ?
Il rentre dans son cabinet de travail. Il s'accroupit. Sur le tapis, il a disposé ce matin ces petits morceaux de bois d'acajou qui, selon leur longueur et leur couleur, représentent des divisions, des régiments, des bataillons. Il les déplace, compose un nouvel ordre de bataille.
Hier, dans l'après-midi, la gouvernante est venue ici, avec le « petit roi ». L'enfant a joué avec les pièces de bois et il l'a laissé faire. Et maintenant qu'il est seul, dans le silence, sans les rires et les cris de l'enfant, il revit la scène. À un moment donné, il a voulu retirer à l'enfant l'une de ces pièces. L'enfant a boudé, refusé ensuite la pièce qu'il lui offrait. Enfant volontaire, « fier et sensible, comme je l'aime ! » a-t-il dit à Mme de Montesquiou.
Il a eu, il y a peu, une longue conversation avec les savants de l'Institut, Monge, Berthollet, Laplace.
« Pauvre enfant, que d'affaires embrouillées je te laisserai ! »
Il se redresse.
Il ne peut dormir. Le temps est à l'orage. Il va se déchaîner, comme sur la fête.
Il faut qu'il contrôle tous les rouages de l'Empire. Il veut voir dès demain le ministre des Cultes, Bigot de Préameneu. Ce conseiller d'État, membre de l'Académie française, est un juriste habile. Un serviteur fidèle, qu'il a fait comte d'Empire.
C'est lui qu'il a chargé de réunir les évêques de l'Empire en concile national, pour leur rappeler le devoir d'obéissance, les soumettre et les arracher à l'autorité temporelle du pape.