« Le prince des Asturies est très bête, très méchant, très ennemi de la France, explique Napoléon à Talleyrand. J'ai fait arrêter ses courriers, sur lesquels on a trouvé des lettres pleines de fiel et de haine contre les Français, qu'il appelle à plusieurs reprises : ces maudits Français. Vous sentirez bien qu'avec mon habitude de manier les hommes, son expérience de vingt-quatre ans n'a pu m'en imposer ; et cela est si évident pour moi qu'il faudrait une longue guerre pour m'amener à le reconnaître pour roi d'Espagne. »
Il les regarde se chamailler. Le père reprochant au fils de lui avoir volé la couronne, le fils répondant avec insolence, la mère emportée par la colère, insultant son fils, défendant son amant, et celui-ci demeurant silencieux, épuisé.
Le 2 mai, il dicte une lettre pour Murat. Le grand-duc de Berg doit lui aussi être averti.
« Je suis content du roi Charles et de la reine, écrit Napoléon. Je leur destine Compiège.
« Je destine le roi de Naples à régner à Madrid. Je veux vous donner le royaume de Naples ou du Portugal. Répondez-moi sur-le-champ ce que vous en pensez, car il faut que cela soit fait dans un jour. »
Joséphine arrive au château gaie, heureuse. Hortense vient d'accoucher d'un fils, le 20 avril, qu'elle a prénommé Charles-Louis-Napoléon1.
Napoléon l'entraîne. Il la trouve embellie. Ils descendent vers la Nive. Il fait chaud, il la pousse dans la rivière. Ils s'aspergent, prennent une barque, se dirigent vers le château de Lauga, où Caroline Murat vient de s'installer.
Il faudra qu'elle accepte de ne plus rêver à l'Espagne, mais à Naples, un beau royaume. Il rit. Il a écrit à Joseph que « l'Espagne n'est pas ce qu'est le royaume de Naples... À Madrid, vous êtes en France. Naples est au bout du monde. Je désire donc qu'immédiatement après avoir reçu cette lettre vous laissiez la régence à qui vous voudrez... Et que vous partiez pour vous rendre à Bayonne par le chemin de Turin, du Mont-Cenis et de Lyon ».
Il les voit s'avancer dans le parc, vers Joséphine. Elle est la grâce. Il lui prend la main, la conduit à table. Elle présidera le dîner.
Une petite cour s'est reconstituée au château de Marracq, organisée par le grand maréchal Duroc.
Parmi les jeunes femmes qui composent la suite de Joséphine et qui s'inclinent devant lui, Napoléon aperçoit une jeune femme dont le nom lui revient aussitôt, Mlle Guillebeau, qu'il avait remarquée à l'un des bals masqués donnés à Paris par Caroline ou Hortense. Il la fixe longuement. Elle ne baisse pas les yeux. Toute son attitude dit qu'elle accepte. Napoléon se sent guilleret. Il lance un coup d'œil à Joséphine. Elle a vu. Elle sourit, consentante. Elle ne craint pas cela. Elle souhaite même ces infidélités. Ce ne sont qu'affaires de corps. La politique et le cœur sont ailleurs. Dans le divorce, et chez Marie Walewska. Mais Marie est à Paris. Et il faut toujours prendre ce que le destin offre.
Ce soir, il rendra visite à Mlle Guillebeau, sous les combles du château.
Il s'assoit en face de Joséphine et de Charles IV. À sa droite, la reine Marie-Louise. Un couple qu'il trouve pitoyable. Au bout de la table se tient Ferdinand, dont le visage aux traits lourds dit l'avidité. « Quelque chose qu'on lui dise, raconte Napoléon, il ne répond pas ; qu'on le tance ou qu'on lui fasse des compliments, il ne change jamais de visage. Pour qui le voit, son caractère se dépeint par un seul mot : sournois. »