Mais quand il rentre au château de Barracq, sous un orage qui a éclaté peu après qu'il a quitté Bayonne, la première dépêche qu'il ouvre annonce le massacre de trois cent trente-huit soldats à Valence. Les émeutiers qui ont égorgé les Français de la garnison étaient conduits par un chanoine, Calvo.
Il s'arrête de lire.
Peut-être, en effet, est-ce une insurrection de fanatiques qui commence, guidée par les moines et les prêtres. Qui sait si le pape, ses cardinaux romains ne sont pas derrière ce mouvement qui s'étend ? Chaque dépêche annonce l'insurrection d'une ville - Saragosse, Barcelone, Malaga, Cadix, Badajoz, Grenade. À Oviedo, les habitants ont été appelés à se révolter par le chanoine qui a, les informateurs en sont sûrs, qualifié Napoléon d'« Antéchrist ». Les soldats français sont appelés les « suppôts du diable » ou bien les « troupes de Voltaire ».
Il ne faut pas que l'incendie se propage.
Napoléon écrit au ministre de la Guerre, Clarke. Qu'on expédie des réserves en Espagne sans affoler l'opinion avec des rumeurs de guerre.
« Pour ne pas faire trop de bruit à Paris, ces régiments peuvent faire la première marche à pied, comme à l'habitude, et ne prendre les voitures qu'à une journée de Paris. »
Il faut que Joseph soit rapidement à pied d'œuvre à Madrid.
Il va à la rencontre de son frère à la sortie de Bayonne. Joseph s'inquiète, assure que le pape demande à tous les évêques espagnols de refuser de reconnaître ce « roi franc-maçon, hérétique, luthérien, comme sont tous les Bonaparte et la nation française ». Joseph, toujours pusillanime et qu'une rumeur inquiète, est terrorisé.
Napoléon le prend par le bras, le conduit dans la salle à manger du château de Marracq où un dîner est donné en son honneur. Il le rassure. Les délégués espagnols, réunis en une junte, l'ont reconnu comme souverain.
- Soyez sans inquiétude, rien ne vous manquera. Soyez gai, et surtout portez-vous bien !
Joseph hésite. Il a rassemblé ses propres informations sur l'Espagne.
- Personne n'a dit toute la vérité à Votre Majesté, murmure-t-il.
Il baisse la tête comme s'il n'osait pas avouer ce qu'il pense, ce qu'il pressent.
- Le fait est qu'il n'y a pas un Espagnol qui se montre pour moi, excepté le petit nombre de personnes qui ont assisté à la junte, conclut-il.
- Vous ne devez pas trouver trop extraordinaire de conquérir votre royaume, dit Napoléon.
- Philippe V et Henri IV, reprend-il, ont été obligés de conquérir leur royaume.
Il faut rassurer Joseph.
- Soyez gai, ne vous laissez pas affecter et ne doutez pas un instant que les choses finiront mieux et plus promptement que vous ne pensez.
Mais Murat continue d'être alité et s'apprête à quitter Madrid sur une civière. Mais Saragosse résiste aux assauts, aux boulets, à la mitraille. Mais les Anglais débarquent au Portugal, interviennent en Espagne. Mais les armées espagnoles se reconstituent, marchant vers Madrid. Mais les jours passent et l'insurrection s'étend.
Dans le parc du château de Marracq, Napoléon organise des troupes. Il hésite. La tentation est grande de se mettre à la tête de ses escadrons de cavalerie, de marcher avec la Garde, de rentrer dans Madrid d'où Joseph, qui y est à peine arrivé, songe déjà à s'éloigner, affolé à l'idée d'être pris. Il appelle au secours. Il craint d'être tué, dit-il.
« Le style de votre lettre ne me plaît point, répond Napoléon. Il ne s'agit point de mourir mais de vivre et d'être victorieux ; et vous l'êtes et le serez.
« Je trouverai en Espagne les colonnes d'Hercule, et non les limites de mon pouvoir... Soyez tranquille sur l'issue de tout cela. »
Le maréchal Bessières ne vient-il pas de remporter une victoire à Medina de Río Seco ? Et les troupes du général Dupont ne sont-elles pas engagées à Baylen contre les Espagnols ? Elles sont en situation de vaincre ces rebelles.
Napoléon regarde défiler les troupes dans le parc du château de Marracq.