Le grand chambellan s'avance, lui présente le texte de l'Acte. Napoléon se lève, signe. Il regarde cette foule qui s'étend à l'infini. Il aurait pu la soulever, balayer avec elle tous ces dignitaires, recommencer la Révolution. Il ne l'a pas voulu. Il est un homme d'ordre. Mais il sait que sa force vient de cette foule.
Il rejette les pans de son manteau, fait quelques pas.
- Messieurs les électeurs des collèges de département et d'arrondissement, messieurs les députés des armées de terre et de mer au Champ-de-Mai...
Il regarde la foule puis, d'une voix forte, reprend :
- Empereur, Consul, soldat, je tiens tout du peuple. Dans la prospérité, dans l'adversité, sur le champ de bataille, au Conseil, sur le trône, dans l'exil, la France a été l'objet unique et constant de mes pensées et de mes actions... Dites aux citoyens que les circonstances sont grandes, qu'avec de l'union, de l'énergie et de la persévérance nous sortirons victorieux de cette lutte d'un grand peuple contre ses oppresseurs.
Il hausse encore la voix.
- Français, ma volonté est celle du peuple, mes droits sont les siens, mon honneur, ma gloire, mon bonheur ne peuvent être autres que l'honneur, la gloire et le bonheur de la France !
Les acclamations roulent des premiers aux derniers rangs.
Il attend, puis lance :
- Je jure d'observer et de faire observer la Constitution de l'Empire.
Les officiers tirent leurs épées, crient : « Vive l'Empereur, vive l'Impératrice, vive le roi de Rome ! »
Il entend distinctement dans la rumeur des voix qui hurlent : « Nous irons les chercher ! » Derrière lui, les notables s'indignent, protestent.
Il s'avance cependant que tous les porte-aigles de l'armée, de la Garde et des gardes nationaux présentent leurs drapeaux au pied de cette tribune en forme de pyramide.
Il a à ses pieds une mer hérissée de drapeaux, de sabres et de baïonnettes. Les canons des Tuileries, de l'École militaire, de Montmartre et du château de Vincennes couvrent de leurs détonations les cris de « Vive l'Empereur ».
Le 3 juin, on lui apporte le résultat de l'élection du président de la Chambre des représentants.
Il s'indigne.
- On a voulu m'offenser ! On a voulu m'affaiblir en ce moment critique ! crie-t-il.
Ils ont élu Lanjuinais. Il connaît bien cet avocat au Parlement de Rennes, élu aux Assemblées révolutionnaires, dont il a fait un sénateur et qui a voté contre le Consulat à vie et l'Empire.
Il a une grimace de mépris. Une douleur se réveille à son flanc droit. Il hausse les épaules.
- Ces hommes ne savent même pas s'unir à moi, qui peux seul les garantir contre tout ce qu'ils craignent. Car c'est à coups de canon maintenant qu'on peut défendre la Révolution, et lequel d'entre eux est capable d'en tirer un ?
Il se laisse tomber sur une chaise, appuie la tête sur ses mains. La fatigue l'écrase.
Il dicte ses instructions à Davout.
« Donnez ordre au maréchal Grouchy, qui commandera en chef la cavalerie, d'être le 5 juin à Laon, afin que le 10 on puisse entrer en campagne. La Garde devra être complètement approvisionnée et prête à combattre à partir de ce 10 juin. Vous fermerez toutes les communications sur toute la ligne du Nord, du Rhin et de la Moselle. Aucune voiture ni aucune diligence ne devra plus passer. Vous quitterez Paris le 8 juin. En passant par Lille, vous monterez un bureau d'espionnage et prendrez les derniers renseignements sur la position de l'ennemi. Faites appeler le maréchal Ney : s'il désire se trouver aux premières batailles qui auront lieu, dites-lui qu'il soit rendu à Avesnes où sera mon quartier général.
« Il est nécessaire que les voitures de voyage soient prêtes sans qu'on le sache, afin que je puisse partir deux heures après en avoir donné l'ordre. »
Le secrétaire lui tend une lettre de Murat, qui demande à nouveau à servir dans l'armée française.
Napoléon la jette à terre, commence à dicter.