« L'Empereur ne peut employer un homme qui, il y a un an, a trahi les Français. Cette année, vous avez compromis la France en attaquant prématurément les Autrichiens. »
Il n'y a rien d'autre à ajouter.
Mais quelques heures plus tard, quand il passe en revue, place Vendôme, le 13e
régiment de dragons, il se souvient des charges héroïques de Murat.Le temps est cruel pour les hommes. Il se tasse sur sa selle. Il se voûte, comme si tout son corps le tirait vers le sol. Où sont Muiron qui s'est jeté devant lui au pont d'Arcole pour lui sauver la vie, Desaix, Lannes, Duroc, Bessières ?
Il rentre lentement à l'Élysée ce lundi 5 juin 1815.
Un officier s'avance vers lui dans l'entrée du palais. Il tend une dépêche.
Napoléon lit. Tout se voile. Ses jambes se dérobent.
Lorsqu'il sort de la nuit, des officiers sont penchés sur lui. Et il perçoit l'angoisse dans leurs yeux. Il a le visage mouillé. On l'a aspergé d'eau. Il s'est évanoui, lui murmure-t-on.
Il se redresse, commence à marcher lentement. Il se rend compte qu'il tient à la main la lettre. Il s'arrête, la relit.
Le maréchal Berthier est mort. Le prince de Neuchâtel, retenu à Bamberg par les Autrichiens, s'est jeté d'une fenêtre.
Il s'approche de Mollien. Il dit d'une voix lasse : « Berthier est mort. » Puis, en s'éloignant, comme en se parlant à lui-même : « Le destin est changé pour moi. J'ai perdu là un auxiliaire que rien ne remplace. »
Il a hâte de rejoindre l'armée, le champ de bataille.
C'est comme le prélude à la guerre. Il serre les dents. Il parle d'une voix puissante.
- L'armée et moi, nous ferons notre devoir. Vous, pairs et représentants, donnez à la nation l'exemple de la confiance, de l'énergie et du patriotisme, et, comme le Sénat du grand peuple de l'Antiquité, soyez décidés à mourir plutôt que de survivre au déshonneur et à la dégradation de la France. La cause sainte de la patrie triomphera.
Ils applaudissent, mais combien sont prêts au sacrifice ?
Peu importe leur nombre, puisque ce qui va compter c'est le sort de la guerre.
Il faut maintenant veiller à chaque détail.
« J'ai lu avec peine, dicte-t-il à Davout, que les deux régiments qui étaient partis ce matin n'avaient qu'une paire de souliers. Il y en a en magasin, il faut leur en procurer deux dans le sac et une aux pieds. »
À dicter ainsi tout le jour, à consulter les cartes, à passer les dernières revues, le temps s'écoule vite.
Le dimanche 11 juin, il assiste à la messe aux Tuileries, puis reçoit une délégation des Chambres.
Il s'approche d'eux, les fixe jusqu'à ce qu'ils baissent les yeux.