- Il faut, dit-il, un exemple, non sur l'homme, que je veux ménager, mais sur le conseiller d'État. Il est temps que l'on apprenne, si on l'a oublié, ce que c'est que d'être fidèle à son serment. Il faut fixer les principes sur cela.
Puis, d'un ton sévère, tout en s'éloignant de quelques pas, il ajoute :
- Des soldats timides et lâches perdent l'indépendance des nations, mais des magistrats pusillanimes détruisent l'empire des lois, des droits du trône et l'ordre social lui-même.
Il répétera cela au Sénat, qu'il compte réunir demain, dimanche 20 décembre. Mais il veut que chaque jour, à compter d'aujourd'hui, se réunissent autour de lui les conseils, celui des Ministres, celui des Finances, de l'Administration intérieure, le Conseil d'État naturellement. Il recevra le corps diplomatique le 1er
janvier 1813. Puis, dans quelques semaines, le 14 février, sera convoqué le Corps législatif. Il veut voir tout l'Empire au travail. Il doit lever trois cent cinquante mille hommes d'ici le printemps. Il songe à cent cinquante mille pour la classe 1814, et à cent mille dans les classes de 1809 à 1812, cent mille autres venant des gardes nationaux.Il a déjà pensé à tout cela. Il ne s'agit plus que de le mettre en œuvre dans les semaines qui viennent.
Il observe les ministres, les dignitaires. Les directives qu'il vient de donner semblent les avoir rassurés. Les hommes ont besoin d'agir, besoin de savoir qu'un chef est à la barre et les guide. Maintenant, il peut leur parler de la Russie, des désastres de la campagne. À quoi servirait de chercher à dissimuler ? Les lettres privées des soldats vont commencer à arriver en France. Et on saura ce qu'ont vécu les hommes là-bas, et on comptera les disparus.
Il commence à parler d'un ton calme.
- La guerre que je soutiens contre la Russie, dit-il, est une guerre politique. Je l'ai faite sans animosité. J'eusse voulu épargner les maux qu'elle-même s'est faits. J'aurais pu armer la plus grande partie de la population contre elle-même en proclamant la liberté des esclaves... Un grand nombre de villages me l'ont demandé, mais je me suis refusé à une mesure qui eût voué à la mort des milliers de familles...
Puis il marche à pas lents devant les dignitaires.
- Le succès de mon entreprise a tenu à huit jours. Il en est ainsi de tout dans le monde. Le moment, l'à-propos sont tout.
Il indique que l'audience du lever est terminée, mais il retient Decrès et Cessac, avec qui il veut parler déjà des premières mesures pour reconstituer l'artillerie et la cavalerie.
Il s'assied à sa table de travail.
- Eh bien, messieurs, la fortune m'a ébloui ! Je me suis laissé entraîner au lieu de suivre le plan que j'avais conçu. J'ai été à Moscou, j'ai cru y signer la paix. J'y suis resté trop longtemps. J'ai cru obtenir en un an ce qui ne devait être exécuté qu'en deux campagnes. J'ai fait une grande faute, mais j'aurai les moyens de la réparer.
Il faut commencer aujourd'hui. Il donne les premiers ordres. Puis, quand Decrès et Cessac sont sortis, il dit à Caulaincourt :
- Le terrible
Il se promène sur la terrasse des Tuileries en compagnie de Marie-Louise. Elle s'appuie à son bras, tendre, légère et futile. Il n'écoute que le gazouillis des mots. Il l'interroge : « Comment va bon papa François ? » Il a besoin de l'alliance ou, au pis, de la neutralité de l'Autriche. Et il faut qu'il se serve de Marie-Louise pour peser sur l'empereur François.
Car les nouvelles qu'apportent les estafettes chaque jour sont mauvaises ! La foule des soldats rescapés de la Bérézina s'est ruée sur les magasins de Vilna. La ville a été pillée, dit-on. Et il a suffi d'un hourra de cosaques pour que ces hommes débandés s'enfuient et recommencent à Kovno la même mise à sac ! Et la Garde -
Et Murat a quitté l'armée, rejoint son royaume. Il traite avec Metternich, trahit comme un quelconque Bernadotte, dans l'espoir de conserver sa couronne et rêvant peut-être de coiffer la couronne de fer du royaume d'Italie !