Napoléon lui écrit. « Je n'ai jamais rencontré l'armée russe que je ne l'aie battue. Ma Garde n'a jamais donné. Elle n'a pas tiré un coup de fusil et n'a pas perdu un seul homme devant l'ennemi. Mais dans la terrible tempête de froid le bivouac est devenu insupportable à mes gens ; beaucoup s'éloignaient le soir pour chercher des maisons et des abris ; je n'avais plus de cavalerie pour les protéger. Les cosaques en ont ramassé plusieurs milliers. »
« Quant à la France, continue à dicter Napoléon, il est impossible d'en être plus satisfait que je le suis : hommes, chevaux, argent, on m'offre tout. Mes finances sont en bon état.
« La conséquence de tout ceci doit être que je ne ferai aucune démarche pour la paix.
« Votre Majesté connaît à présent mes affaires et mes vues comme moi-même. Je suppose que cette lettre et les sentiments que je confie à Votre Majesté resteront entre Elle et moi ; mais Elle peut, en conséquence de la connaissance qu'Elle a de mes dispositions, agir comme Elle le jugera convenable dans l'intérêt de la paix. »
Napoléon convoque Régnaud de Saint-Jean-d'Angély, secrétaire d'État à la Famille impériale. Il veut, dit-il, qu'on recherche tous les ouvrages traitant des formes suivies depuis Charlemagne lorsqu'il a été question du couronnement de l'héritier présomptif.
Mais la guerre aura lieu contre les Russes, et sans doute contre les Prussiens, alors Napoléon chasse, parce qu'il veut garder à son corps, dont il sent qu'il s'alourdit, son agilité, sa résistance. Le froid est très vif, ce mardi 19 janvier 1813, dans les forêts autour de Grosbois, le château de Berthier.
Le maréchal est rentré de Pologne, accablé. Il s'accuse d'avoir appuyé le choix de Murat comme chef de l'armée. Il eût fallu choisir Eugène de Beauharnais dès le début, dit-il. Maintenant, que peut le vice-roi d'Italie ? L'armée ne compte plus qu'une trentaine de milliers d'hommes, tout ce qui reste des plus de quatre cent mille qui franchirent le Niémen en juin 1812. Berthier se lamente. Napoléon le morigène. À quoi sert-il de vouloir refaire le passé ? Les choses qui ont eu lieu sont sans remède. Quant à leurs conséquences, il faut les subir.
- C'est un torrent, dit-il, il faut le laisser couler. Cela s'arrêtera de soi-même dans quelques jours.
Il veut à la fois accepter ce que l'on ne peut refuser, et changer ce qui peut l'être.
Dans la forêt de Grosbois, tout à coup, il tourne bride. On va chevaucher jusqu'au château de Fontainebleau. Il a eu cette idée il y a déjà quelques jours. Mais il ne voulait en avertir personne.
La plupart des pièces du château sont vides. On a enlevé les meubles en l'absence de l'Empereur. Les salons et les chambres sont glacés, sans feu. Les domestiques sont rares. Mais toute une aile du château est illuminée. C'est là que vit le pape Pie VII depuis des mois.
C'est lui qu'il veut surprendre, entourer de signes d'affection et de respect, afin de parvenir à un accord, un nouveau Concordat.
Napoléon va vers lui dans les longues galeries froides et l'embrasse.
Il veut apparaître aux yeux de l'Europe et de l'opinion non pas comme l'Antéchrist que condamnent les souverains chrétiens, mais comme un empereur allié du pape.