« Je suppose que vous n'êtes pas de ceux qui pensent que le lion est mort, dicte-t-il pour Murat. Vous m'avez fait tout le mal que vous pouvez depuis mon départ de Vilna. Le titre de roi vous a perdu la tête. Si vous désirez le conserver, ce titre, il faut vous conduire autrement que vous n'avez fait jusqu'à présent. »
Il parcourt ces lettres que les agents du Cabinet noir chargé d'espionner les correspondances ont pu saisir.
Il n'a même pas été surpris de découvrir qu'elles sont du « Blafard », Talleyrand, un homme qui continue de participer aux Conseils privés. Il écrit à son oncle, ancien archevêque de Reims, émigré, proche de Louis XVIII et compagnon d'exil à Hartwell, où vit la petite Cour qui entoure, en Angleterre, le frère de Louis XVI. Talleyrand fait des offres de service, assure que la campagne de Russie est pour l'Empire « le commencement de la fin » et que tout cela se terminera par un « retour aux Bourbons ».
Indigne Talleyrand !
Napoléon a un accès de colère. Il veut poursuivre Talleyrand en justice, l'exiler sur ses terres, mais Savary et Cambacérès plaident pour l'ancien évêque d'Autun. Pourquoi faire un éclat ? disent-ils. Il suffit de le surveiller, prétendent-ils.
Napoléon hésite. Un procès fait à Talleyrand serait en effet interprété comme le signe de troubles au sommet de l'Empire.
Il convoque Talleyrand.
- Vous voulez me trahir ! Vous me trahissez ! crie-t-il.
Mais Talleyrand récuse les accusations, regarde à peine les lettres saisies, prétend qu'elles ne sont pas écrites par lui, mais fabriquées pour le perdre.
- Je vous connais, hurle Napoléon. Je sais de quoi vous êtes capable, vous êtes l'homme du monde qui a le plus volé !
Et maintenant, les Bourbons !
Napoléon le chasse de son cabinet. Il l'entend dire aux dignitaires qui attendent dans la pièce voisine :
- L'Empereur est charmant, ce matin !
Mais l'homme est atteint. Il s'alite, victime d'une attaque.
Marie-Louise vient vers lui en tenant par la main le petit roi.
Elle est de plus en plus tendre. Elle ne veut pas qu'il s'absente, même pour se rendre dans son cabinet de travail. Et il doit travailler au milieu de la nuit. En public, elle est souvent maladroite, sèche, même quand il est près d'elle lors des cérémonies officielles, à l'Hôtel des Invalides ou bien au Pensionnat des jeunes filles de la Légion d'honneur. Elle ne sait ni sourire ni donner. Elle ne trouve pas les mots qui conviennent.
Mais, en tête à tête, elle est douce, aimante, rieuse. Et elle est la fille de François Ier
, empereur d'Autriche. François Ier oserait-il faire la guerre au mari de sa fille ? À cet Empire dont peut hériter son petit-fils ?