Il préside des Conseils quotidiens. Il parcourt les rues de Paris, visite les travaux du Louvre, de la nouvelle halle aux vins. Il se promène sur les quais de la Seine, au marché aux fleurs. On l'acclame. Il décide de se rendre au faubourg Saint-Antoine. Il voit les ouvriers et les artisans qui, en l'apercevant, sortent des ateliers, des entrepôts, qui crient « Vive Napoléon », et il entend les paroles des chants qu'ils entonnent : « Les aristocrates à la lanterne ».
Il se souvient de ces journées de 1792, de l'assaut donné aux Tuileries, de cette barbarie de la foule et de l'impuissance du roi Bourbon. Il ne veut pas revoir cela. Toute sa vie, il a cherché à construire autre chose, à ne pas céder à la rage des faubourgs et à échapper à la lâcheté des rois.
Dans la foule qui se presse autour de lui, il sent l'angoisse. Il faut qu'il rassure.
Il se rend plusieurs soirées de suite au théâtre, à l'Opéra. Il organise des revues au Carrousel. Il veut que défilent des milliers d'hommes, pour que Paris sache que la Grande Armée est reconstituée. Après les parades, il rentre à Saint-Cloud. Il s'enferme dans son cabinet de travail. Là, point de décors, de faux-semblants. L'ennemi qui avance. Schwarzenberg a pénétré en Suisse, franchi le Rhin à Schaffhouse et, après avoir débouché sur Bâle, marche sur Belfort. Il va maintenant remonter vers le nord-est, vers Dijon, Chalon-sur-Saône, pendant que Blücher, ses Prussiens et ses Russes vont attaquer frontalement le Rhin. Les coalisés se sont encore renforcés, et ils alignent près de quatre cent mille hommes.
Il a besoin d'échapper à ces questions qui l'habitent. Il part chasser, galopant dans le bois de Satory, éperonnant sa monture pour se retrouver seul, marchant alors au pas dans la bruine qui enveloppe la forêt. Il revient lentement vers le château de Saint-Cloud. Il traverse les galeries, retrouve quelques instants Marie-Louise. Il la rejoindra cette nuit. Elle l'attend. Mais souvent, dès qu'elle est endormie, il la quitte pour retourner à ses appartements, où il ne dort pas mais travaille.
Il a reçu ainsi au milieu de la nuit le comte de Saint-Aignan, le beau-frère de Caulaincourt. L'homme, bien sûr, est du parti de la paix à tout prix. Napoléon l'observe. C'est un officier valeureux qu'il a nommé écuyer et utilisé souvent comme plénipotentiaire. Il a été fait prisonnier. Il est porteur, dit-il, de propositions de Metternich et des coalisés.
Napoléon lui fait signe de parler, puis marche autour de lui, les bras croisés. Saint-Aignan s'exprime d'une voix exaltée. Les puissances reconnaîtraient à la France les frontières naturelles, « une étendue de territoire que n'a jamais connue la France sous les rois ».
Napoléon l'arrête. Qu'est-ce que cela signifie ? Quels territoires ? Qui ne voit que c'est une manière de faire croire au peuple que les Alliés veulent accorder une paix honorable, qu'ils ne font point la guerre à la France, mais seulement à l'empereur Napoléon !
Il renvoie Saint-Aignan.
Le 20 novembre, il convoque aux Tuileries Caulaincourt, Maret et le général Bertrand. Il a décidé, dit-il, de nommer Caulaincourt, l'homme de la paix, ministre des Relations extérieures à la place de Maret, qui reprend la secrétairerie d'État. Quant au général Bertrand, il sera grand maréchal du Palais.
Il fait quelques pas aux côtés de Caulaincourt.
- À vous de négocier, dit-il.