Mais comment ne pas agir ?
Les Autrichiens s'approchent de Dijon, les Russes de Toul. Ils s'apprêtent à franchir la Marne.
- Il me manque deux mois, dit-il à Pasquier, le préfet de Police de Paris. Si je les avais eus, ils n'auraient pas passé le Rhin. Cela peut devenir sérieux, mais je ne puis rien seul. Si l'on ne m'aide pas, je succomberai, on verra alors si c'est à moi que l'on en veut.
Il pense à Talleyrand, qui continue de rassembler tous ceux qui s'apprêtent à rejoindre la coalition. Arrêter le « Blafard », le faire enfermer au château de Vincennes ou même fusiller ? Il a un geste d'indifférence. Que faudrait-il faire alors de ces préfets qui n'appliquent pas les consignes que je leur transmets ? De tous ceux qui répandent
Il le montre à Pasquier. Voilà ce que dit le Bourbon :
« Recevez en amis ces généreux Alliés, ouvrez-leur les portes de vos villes, prévenez les coups qu'une résistance criminelle et inutile ne manquerait pas d'attirer sur vous, et que leur entrée en France soit accueillie avec les accents de la joie ! »
Ils osent écrire cela. Et certains applaudissent.
Il regarde longuement Pasquier.
- Celui qui me refuse ses services aujourd'hui, dit-il, est nécessairement mon ennemi.
Puis, changeant de ton, il questionne :
- Eh bien, monsieur le Préfet, que dit-on dans cette ville ? Sait-on que les armées ennemies ont décidément passé le Rhin, qu'elles comptent de trois cent mille à quatre cent mille hommes ?
- On ne doute pas que Votre Majesté ne parte incessamment pour se mettre à la tête de ses troupes et ne marche à la rencontre de l'ennemi.
- Mes troupes, mes troupes ! s'exclame-t-il. Est-ce qu'on croit que j'ai encore une armée ? La presque totalité de ce que j'avais ramené d'Allemagne n'a-t-elle pas péri de cette affreuse maladie qui est venue mettre le comble à mes désastres ? Une armée ! Je serai bien heureux si dans trois semaines d'ici je parviens à réunir trente ou quarante mille hommes ! Mais...
Il s'interrompt, secoue la tête.
- Mais les chances les plus malheureuses de la guerre ne me feraient jamais consentir à ratifier ce que je regarderais comme un déshonneur et la France comme une opprobre.
Il répète à voix basse : « des éperons, des bottes », lorsqu'il se présente le dimanche 2 janvier devant le Sénat.
Il veut, dit-il, que les sénateurs deviennent des commissaires extraordinaires envoyés dans les départements. Il se souvient de ces représentants en mission qu'il avait connus à Toulon, à Nice, à l'armée d'Italie, et qui ranimaient le courage des soldats. Car il faut décréter une « levée générale populaire » et, puisque les Russes et les Prussiens sont entrés en Alsace, il faut nommer « un général de l'insurrection alsacienne ».
Les sénateurs l'écoutent avec émotion. Il descend de la tribune, continue sur un ton familier :
- Je ne crains pas de l'avouer, dit-il, j'ai trop fait la guerre, j'avais formé d'immenses projets, je voulais assurer à la France l'Empire du monde. Je me trompais. Il aurait fallu appeler la nation tout entière aux armes et, je le reconnais, l'adoucissement des mœurs ne permet pas de convertir toute une nation en un peuple de soldats !
Il s'assied familièrement parmi les sénateurs.
- Je dois expier le tort d'avoir compté sur ma fortune, continue-t-il, et je l'expierai, c'est moi qui me suis trompé, c'est à moi de souffrir, ce n'est point à la France. Elle n'a pas commis d'erreurs, elle m'a prodigué son sang, elle ne m'a refusé aucun sacrifice...
On l'entoure, on l'acclame.
Il conclut d'une voix forte que, puisque certains départements sont déjà occupés : « J'appelle les Français au secours des Français. Les abandonnerons-nous dans leur malheur ? Paix et délivrance de notre territoire doit être notre cri de ralliement. »
A-t-il convaincu ? Les rapports de police indiquent que « la consternation est à Paris ». Et il ressent la même atmosphère aux Tuileries.
Il entre dans l'appartement de Marie-Louise. Elle vient vers lui, les yeux pleins de larmes. La reine Hortense est tout aussi éplorée, les traits tirés.
Il faut bien rassurer encore :
- Eh bien, Hortense, on a donc bien peur à Paris ? demande-t-il. On y voit déjà les cosaques. Ah, ils n'y sont pas encore et nous n'avons pas oublié notre métier.
Il se tourne vers Marie-Louise.
- Sois tranquille, ajoute-t-il en riant, nous irons encore à Vienne battre Papa François.
Il s'installe à table, prend le roi de Rome sur ses genoux.
- Allons battre Papa François, chantonne-t-il.
L'enfant répète avec détermination la phrase. Napoléon rit aux éclats.