Il s'écrie :
« Le Corps législatif, au lieu d'aider à sauver la France, concourt à précipiter sa ruine, il trahit ses devoirs ; je remplis les miens, je le dissous. »
Il se calme, reprend la phrase, dicte :
« Tel est le décret que je rends, et si l'on m'assurait qu'il doit, dans la journée, porter le peuple de Paris à venir en masse me massacrer aux Tuileries, je le rendrais encore : car tel est mon devoir. Quand le peuple français me confia ses destinées, je considérai les lois qu'il me donnait pour le régir : si je les eusse crues insuffisantes, je n'aurais pas accepté. Qu'on ne pense pas que je suis un Louis XVI. »
Tout à coup, Napoléon se dirige vers eux, se place au milieu du groupe qu'ils forment.
- Que voulez-vous ? Vous emparer du pouvoir ? Mais qu'en feriez-vous ? Et d'ailleurs, que faut-il à la France en ce moment ? Ce n'est pas une assemblée, ce ne sont pas des orateurs, c'est un général.
Il passe devant chacun d'eux, le visage méprisant, les yeux étincelants.
- Y en a-t-il un parmi vous ? Et puis, où est votre mandat ? Je cherche donc vos titres et je ne les trouve pas.
Il hausse les épaules, montre le siège impérial placé sur une estrade.
- Le trône lui-même n'est qu'un assemblage de quatre morceaux de bois doré recouvert de velours. Le trône est un homme, et cet homme, c'est moi, avec ma volonté, mon caractère, ma renommée.
D'un pas vif, il regagne l'estrade.
- C'est moi qui puis sauver la France, ce n'est pas vous !
Puis, brusquement, il revient vers eux.
- Si vous avez des plaintes à élever, il fallait attendre une autre occasion, que je vous aurais offerte moi-même... L'explication aurait eu lieu entre nous, car c'est en famille, ce n'est pas en public, qu'on lave son linge sale. Loin de là, vous avez voulu me jeter de la boue au visage. Comment pouvez-vous me reprocher mes malheurs ? Je les ai supportés avec honneur parce que j'ai reçu de la nature un caractère fort et fier et si je n'avais pas cette fierté dans l'âme, je ne me serais pas élevé au premier trône de l'univers.
Il crie :
- Je suis, sachez-le, un homme qu'on tue mais qu'on n'outrage pas !
Puis il ajoute, d'une voix tout à coup calme :
- La France a plus besoin de moi que je n'ai besoin de la France. Retournez dans vos départements. Allez dire à la France que, bien qu'on lui en dise, c'est à elle que l'on fait la guerre autant qu'à moi, et qu'il faut qu'elle défende non pas ma personne, mais son existence nationale. Bientôt, je vais me mettre à la tête de l'armée, je rejetterai l'ennemi, je conclurai la paix quoi qu'il puisse coûter à ce que vous appelez mon ambition...