Puis il convoque Berthier, demande au maréchal, prince de Neuchâtel, de prendre note. Il commence à dicter un plan de concentration des troupes en Champagne pour faire face aux armées de la coalition.
- Il nous faut recommencer la bataille d'Italie, dit-il.
Puis il se tourne vers l'Impératrice et Hortense qui sont restées silencieuses, attentives.
- Eh bien, mesdames, êtes-vous contentes ? Croyez-vous qu'on nous prenne si facilement ?
Il dicte des ordres. Il faut se battre.
« Vous sentez combien il est important de retarder la marche de l'ennemi. Employez les gardes forestiers, les gardes nationales, pour faire le plus de mal possible à l'ennemi. »
Il martèle : « Il ne faut jamais faire aucun préparatif pour abandonner Paris, et s'ensevelir sous ses ruines s'il le faut. »
Il ajoute à voix basse : « Si l'ennemi arrive à Paris, il n'y a plus d'Empire. »
Il faut donc tout faire pour qu'il n'y parvienne jamais.
Lui seul peut l'en empêcher. Il doit partir.
Derniers jours, ici, aux Tuileries.
Reviendra-t-il ? Il est dans son cabinet de travail en compagnie du roi de Rome. L'enfant joue. Quel sera son destin ?
Il regarde les flammes réduire en cendres ces documents qui jalonnent l'histoire de sa vie.
C'est le dimanche 23 janvier 1814, il prend par la main le roi de Rome. Marie-Louise tient l'autre main de l'enfant. Ils entrent tous trois dans la salle des maréchaux, où sont rassemblés les officiers des douze légions de la garde nationale de Paris. Ces hommes forment un cercle au centre duquel Napoléon s'avance.
- Messieurs les officiers de la garde nationale, commence-t-il, je compte partir cette nuit pour aller me mettre à la tête de l'armée.
Il perçoit la tension des regards qui convergent vers lui.
- En quittant la capitale, je laisse avec confiance au milieu de vous ma femme et mon fils sur lesquels sont placées tant d'espérances. Je partirai avec l'esprit dégagé d'inquiétude lorsqu'ils seront sous votre garde.
Il les dévisage les uns après les autres.
- Je vous laisse, reprend-il, ce que j'ai au monde de plus cher après la France et le remets à vos soins.
Il sent l'émotion qui le gagne.
- Il pourrait arriver toutefois que par les manœuvres que je vais être obligé de faire, les ennemis trouvassent le moment de s'approcher de vos murailles. Souvenez-vous que ce ne pourra être l'affaire que de quelques jours et que j'arriverai bientôt à votre secours. Je vous recommande d'être unis entre vous. On ne manquera pas de chercher à ébranler votre fidélité à vos devoirs, mais je compte sur vous pour repousser toutes ces perfides instigations.
Il soulève son fils, le prend dans ses bras et le promène devant les officiers.
Les cris résonnent dans la salle, font trembler les vitres :
« Vive l'Empereur ! Vive l'Impératrice ! Vive le roi de Rome ! »
Plus tard, il s'est assis près de l'Impératrice. Il fixe l'enfant qui joue à quelques pas.
Quand le reverra-t-il ?
Il se tourne vers Marie-Louise. Elle semble hébétée. Elle a failli s'évanouir quand les officiers de la garde nationale ont lancé leurs cris. Maintenant, elle balbutie :
- Le retour ? demande-t-elle.
- Ma chère amie, dit-il, c'est le secret de Dieu.