« Tout peut changer d'un instant à l'autre ; un bataillon décide d'une journée. »
Il refuse de recevoir le prince Giulay, envoyé de l'empereur d'Autriche, qui vient proposer un armistice de quinze jours.
Giulay est déçu, explique le chambellan, le comte Thiard. Giulay s'est laissé aller à des confidences, continue Thiard. Le chambellan hésite à poursuivre. Napoléon l'y encourage. Thiard explique que Giulay s'est étonné que l'Empereur, qui n'a pas d'enfant, ne divorce pas. Pourquoi ne songerait-il pas à épouser l'archiduchesse d'Autriche, la fille de l'Empereur, Marie-Louise ? Ce mariage pourrait se conclure, a assuré Giulay.
Napoléon s'est approché de la cheminée. Il tend ses mains au-dessus des flammes.
Napoléon se retourne vers Thiard :
- Cela ne se peut pas, dit-il.
Il marche à grands pas dans la vaste pièce, s'arrête souvent devant la fenêtre. Le neige s'est remise à tomber à gros flocons.
- Les archiduchesses ont toujours été fatales à la France, continue Napoléon. Le nom autrichien a toujours déplu et Marie-Antoinette n'a pas contribué à diminuer cet éloignement.
Il se place à nouveau devant la cheminée.
- Son souvenir est trop récent, dit-il.
Quand il entre dans le parc du château de Schönbrunn, à la fin de l'après-midi du 13 novembre 1805, il marche longuement, seul, dans les allées du jardin à la française.
Vienne est là-bas, à moins d'une demi-heure de route, et déjà les troupes de Bernadotte et du général Clarke y ont pénétré sans rencontrer de résistance, la capitale de l'Empire ayant été déclarée ville ouverte.
Napoléon s'arrête devant plusieurs des trente-deux statues de marbre disposées au milieu des parterres que la neige recouvre. L'eau du grand bassin est gelée. Les statues de Neptune, des chevaux marins et des tritons sont recouvertes d'une couche de glace.
En remontant la grande allée, il se dirige vers un obélisque, découvre des ruines romaines. Les quatre chasseurs de l'escorte qui ont mission de le suivre chaque fois qu'il quitte la berline se tiennent en arrière, à plusieurs pas.
Il se trouve au sommet d'une sorte de colline à laquelle on accède par un portique. De là on domine tout le paysage, et au loin il aperçoit, dans la brume sombre, Vienne.
Autrefois, quand il commandait l'armée d'Italie, il avait rêvé de parvenir jusqu'ici. Et voici que, par des routes inattendues, sa vie l'a mené là, à Schönbrunn, dans le Versailles des Habsbourg. Et un des proches de l'Empereur d'Autriche vient de lui proposer d'épouser, comme un Capet, l'archiduchesse.
Qui eût imaginé cela ?
Et pourquoi, après tout, ce mariage serait-il impossible ? Sa vie n'est-elle pas une suite d'événements incroyables et qui pourtant ont eu lieu ?
N'est-il pas l'Empereur ?
Il s'installe dans l'une des grandes chambres du château et, par la fenêtre, il observe la Garde impériale qui prend ses cantonnements. Il donne l'ordre aux grenadiers de préparer leur tenue de parade, puis, quand la nuit est tombée, il part avec sa seule escorte pour Vienne.