Il lit sur le visage de Duroc un début d'étonnement.
Joséphine reçoit tout un monde mêlé, des femmes qui appartiennent à son passé, celui du temps de Mme Tallien et de Mme Hamelin, toutes celles que l'opinion publique, précisément, appelle « lanceuses de nudités gazées » ou « prêtresses des sans-chemises ». Elles ternissent l'image du Premier consul.
- Je veux, dit-il à Duroc, que vous soyez le gouverneur du palais des Tuileries, assisté de quatre préfets du Palais.
Il y aura une maison militaire, avec quatre généraux. Napoléon hésite un instant, puis cite Lannes, Bessières, Davout et Soult. Huit aides de camp les assisteront. Les préfets du Palais seront chargés du service intérieur du règlement de l'étiquette et de la surveillance des spectacles.
- Il faudra des dames pour accompagner l'épouse du Premier consul, murmure-t-il. Mme Lannes, Mme Savary, Mme Murat, et surtout des dames de compagnie issues de la noblesse : Mme de Rémusat, Mme de Lucay.
Il s'interrompt, regarde ironiquement Duroc.
- Hortense de Beauharnais, commence-t-il.
Les bruits sordides qui font de sa belle-fille sa maîtresse ne l'atteignent pas. Mais ils se propagent, et un mariage d'Hortense pourrait y mettre fin.
On répète aussi, dans le cercle étroit des Tuileries, qu'Hortense est amoureuse de Duroc.
Mais celui-ci est resté impassible.
Mais Duroc ne donne aucune réponse. Il doit connaître les projets de Joséphine, qui ne veut pour sa fille qu'un prince ou un Bonaparte, et non un général Duroc.
Napoléon a un mouvement de mauvaise humeur, secouant légèrement la tête.
Cette union familiale qui se prépare, il la subit. C'est une habileté de Joséphine pour le lier à elle davantage.
Napoléon a élevé Louis, qui a été son aide de camp en Italie et en Égypte. Il en a fait son ambassadeur, puis un général de brigade. Il n'abandonne jamais l'un de ses frères. Comment le pourrait-il lorsque Louis sera l'époux d'Hortense, pour qui il a une vive affection ? Et combien il lui sera difficile de rompre alors avec Joséphine, puisque les deux familles seront à ce point entrecroisées !
Napoléon n'ignore rien de cela.
Il sait même que Louis est sans doute atteint d'une maladie vénérienne, qu'il est soumis à des accès de mélancolie et qu'il s'imagine souvent persécuté.
Napoléon assiste à ses côtés à la signature du contrat de mariage, le 3 janvier 1802, aux Tuileries.
Le lendemain, il se rend rue de la Victoire. À vingt-trois heures, le cardinal Caprara célèbre, dans le grand salon où a été dressé un autel, le mariage religieux.
Napoléon regarde droit devant lui, alors qu'à ses côtés Joséphine renifle et soupire bruyamment. Elle a souhaité qu'à cette occasion son mariage civil avec Napoléon fût béni par le cardinal. Murat et Caroline, qui n'étaient mariés que civilement, se préparent, à la suite d'Hortense et de Louis, à recevoir la bénédiction du cardinal.
Joséphine tente de prendre la main de Napoléon. Il la retire. Il ne cédera pas. Qu'elle pleure. Il veut garder dans sa destinée la porte encore ouverte d'une autre union, avec une autre femme, dans le sein de l'Église.
Certes, on peut toujours rompre un mariage religieux. Mais pourquoi multiplier les difficultés ? La rupture d'un mariage civil par le divorce, s'il l'envisage, sera si facile.
Il sort l'un des premiers du salon.