Analysant les informations fournies par les leaders du PCF, dont Étienne Fajon à la section internationale du CC du PCUS les responsables soviétiques précisent dans les documents secrets, en septembre 1947, que «l’activité actuelle de la fraction gaulliste et de son chef donne un éclat nouveau à la diffusion des thèmes idéologiques du néo-fascisme: le culte de «l’État fort» et de l’homme providentiel, l’anathème contre les partis, le paternalisme, le corporatisme»[608]
. Les documents du parti datés du mois de septembre 1947 signalent que «les partis gouvernementaux de la Troisième Force cherchent à frayer le chemin au RPF, à créer la base de «réconciliation», à faire naître une large coalition anticommuniste et à réunir les forces des partis américains»[609]. Le RPF y figure en tant que «mouvement de caractère fasciste au service de l’impérialisme américain»[610]. En se fondant sur les jugements de Georges Soria, membre du PCF, chef de la rubrique internationale du journal parisien Ce soir, le président de la direction de la VOKS[611], V. Kemenov, note le 16 septembre 1948: «La vie idéologique en France est menacée de deux dangers: primo, le fascisme militant de Malraux avec son pathos de faux héroïsme (idéologie gaulliste); secundo, la philosophie de désintégration et de décadence de Sartre[612]».Youri Jokov, éditorialiste connu, correspondant de la Pravda
à Paris, présente, le 11 juin, à l’intention des membres du CC du PCUS la relation intitulée: «Caractéristiques de la situation politique en France à la veille des élections législatives du 17 juin 1951». Le journaliste fait remarquer «qu’on peut s’attendre à ce que la réaction française fouettée par Washington essayera de mettre à son profit les élections législatives pour réaliser de fait, à cette étape même, le coup d’État fasciste en remettant le pouvoir à de Gaulle. Au début tout fait croire que ce projet doit réussir. Pourtant aujourd’hui l’éventualité de l’arrivée au pouvoir de De Gaulle est commentée avec beaucoup moins d’assurance que, disons-le, il y a un mois…»[613]. L’arrivée éventuelle de De Gaulle au pouvoir signifie, aux yeux des leaders communistes français et soviétiques, la victoire «du fascisme et de la guerre», et le RPF est qualifié d’«adversaire principal» du PCF[614]. Ce n’est pas par hasard que la veille des législatives les communistes français précisent qu’une des tâches tactiques primordiales de leur Parti est de «prouver aux électeurs que le complot entre les dirigeants du MRP, de la SFIO et ceux des radicaux et des indépendants, suppôts de De Gaulle, prépare son arrivée au pouvoir, c’est-à-dire l’instauration de la dictature fasciste en France, et l’intensification ultérieure de la politique pro-américaine et antisoviétique visant à une nouvelle guerre»[615].Or, les élections législatives n’apportent pas la victoire réelle au RPF: le Rassemblement n’arrive pas à obtenir la majorité absolue au Parlement qui aurait permis de modifier la Constitution de 1946; et, lors des élections, de Gaulle n’a pas voulu présenter de candidats en faisant union avec d’autres partis. Même devant ces faits, les responsables des partis communistes français et soviétique signalant dans les documents secrets un certain recul du RPF, soutiennent l’idée que «le danger de l’arrivée au pouvoir du général de Gaulle reste toujours réel» [616]
. Au printemps 1952, Youri Joukov présentant son rapport à L. Ilitchev, rédacteur en chef de la Pravda, précise que «de Gaulle malgré la victoire de «l’indépendant» Pinay veut toujours prendre le pouvoir entre des mains… et, après l’échec de ses avances aux amis de Pétain, il essaie une fois de plus de mettre le masque de «l’homme du 18 juin» et de faire reconnaître son rôle du «combattant contre Vichy»[617]. Youri Joukov appelle le RPF «parti de masse» dont Terrenoire, Soustelle et d’autres politiciens obstinés constituent le cerveau[618].Ce n’est qu’après l’échec spectaculaire du RPF aux élections municipales de 1953 et l’abandon par étapes de ses activités politiques et parlementaires qu’on voit apparaître dans les documents du PCUS les passages évoquant «la fin du mouvement de De Gaulle» qui n’a pas réussi à «égorger la démocratie en France»[619]
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