Comme leurs prédécesseurs des années 1960–1970, ces spécialistes de l’histoire de la France d’après-guerre évaluent le RPF comme un parti bourgeois de droite. Pourtant ils analysent d’une manière détaillée ses traits spécifiques et sa différence par rapport aux autres organisations de droite françaises en notant les aspects particuliers de son activité politique. M. Narinski, par exemple, considère le RPF comme le parti «d’une nouvelle orientation de droite (qui) se distingue des groupements de la droite traditionnelle par l’accent mis sur une vaste manœuvre sociale et économique, par sa structure précise et bien organisée, par son savoir-faire pour gagner une base sociale de masse, et organiser ses partisans»[635]
. Pour lui, le RPF réunit des traits du conservatisme traditionnel de droite avec l’idée de manœuvre sociale dans l’esprit du néo-capitalisme[636]. On trouve aussi les appréciations de l’activité et du programme du RPF dans le travail de l’historien d’Irkoutsk G. Novikov Le gaullisme après de Gaulle (1984). G. Novikov utilise des documents inédits des archives de l’Institut Charles de Gaulle, la presse gaulliste et la vaste littérature de mémoires gaullistes. À la suite des chercheurs et des spécialistes français du gaullisme, J. Charlot en premier lieu, l’historien soviétique note que le RPF ouvre une nouvelle et très importante étape dans le développement du gaullisme – celle de sa transformation en un mouvement politique. Pourtant, à la différence des spécialistes de l’histoire du RPF tels que Ch. Purstchet, J. Charlot, P. Guiol qui ne voient pas dans le RPF un parti bourgeois de droite, G. Novikov le caractérise comme une force politique autoritaire «très à droite»[637]. Cette caractéristique du premier parti gaulliste coïncide avec celle que nous trouvons dans les œuvres classiques de M. Duverger et de R. Rémond[638]. Selon G. Novikov, «le mouvement gaulliste qui avait pendant la guerre un caractère bourgeois et patriotique s’est transformé, au cours du processus d’aggravation aiguë de la lutte des classes dans la France d’après-guerre, en un mouvement nationaliste de droite qui poursuivait le but d’instaurer un régime d’exécutif fort mais dans le cadre de la démocratie bourgeoise»[639]. G. Novikov affirme que la ligne politique et surtout le programme social et économique du RPF représente «l’exemple classique du comportement d’un parti d’opposition aspirant à adapter son idéologie et sa propagande aux demandes des couches moyennes et de la petite bourgeoisie qui composaient l’essentiel de sa base sociale et, en même temps, à élargir cette base aux dépens de la classe ouvrière»[640].Un autre chercheur soviétique, V. Tchernega, tout en admettant les appréciations principales du RPF exprimées par R. Rémond, le considère comme «un parti bourgeois de type nouveau» dont l’activité a manifesté «la viabilité des traditions de la droite autoritaire dans le pays»[641]
. Selon V. Tchernéga, «l’anticommunisme et l’antisoviétisme du RPF, son hostilité envers la IVeRépublique «trop à gauche», dont la Constitution a été élaborée avec la participation active des communistes, ont attiré au Rassemblement un grand nombre de partisans de droite actifs qui partagent sa vision du monde, autoritaire et spécifique»[642].Au début des années 1990, on voit paraître de nouveaux ouvrages sur l’histoire du gaullisme sous la plume des jeunes historiens M. Arzakanian et N. Naoumova. La monographie de M. Arzakanian De Gaulle et les gaullistes sur la voie du pouvoir
publiée en 1990 appartient au genre historicolittéraire. L’auteur consacre tour un chapitre à l’histoire du RPF, fait des portraits politiques et psychologiques très impressionnants des responsables du premier parti gaulliste tout en montrant son évolution politique. M. Arzakanian affirme que le RPF «ne présentait pas un mouvement au-dessus des classes, mais était une sorte de parti politique de droite»[643]. Une nouvelle monographie, celle de N. Naoumova, paraît en 1991, consacrée au gaullisme d’opposition sous la IVeRépublique. Dans ce livre, l’étude du RPF se fonde sur les documents divers du RPF jusque-là inconnus des chercheurs soviétiques. Il s’agit tout d’abord de la presse du RPF que N. Naoumova est la première à utiliser dans les travaux scientifiques. L’auteur caractérise le RPF comme «un parti bourgeois réformiste d’orientation de droite qui a su, pour un certain temps, rassembler autour des idées gaullistes les représentants de toutes les couches de la société française»[644].