— Revenons vers la route! ordonna Terr.
Les chars se frayèrent un chemin vers la droite. On devina une ombre gigantesque qui gesticulait derrière un rideau de feuilles.
— Visibilité suffisante? s’informa Terr.
— Par l’écran de transfiximage, oui!
— Déployez-vous!
Les chars s’étirèrent en quart de cercle. Chacun cherchant un angle favorable. Une voix parla dans la téléboîte.
— Le chef de patrouille est brûlé. Je prends le commandement… Feu!
— Sous la rotule gauche, commanda Terr.
— Feu! répéta le remplaçant du chef de patrouille, d’une voix enrouée couverte par des hurlements assourdissants.
— Feu! dit Terr.
Les chars lâchèrent des traits de feu mauve à travers les branches. Les rayons convergeaient vers un même point. Une masse confuse et géante s’effondra dans un craquement formidable.
— Nous l’avons! Il est tombé les pattes broyées.
— Sa tête est tournée vers vous?
— Oui.
— Bon, n’approchez pas et ne tirez plus, vous pourriez nous blesser. Nous arrivons pour l’achever par derrière.
Ils débouchèrent sur la route, en amont de la bête blessée. Vingt rayons mauves l’achevèrent d’une brûlure à la base du crâne. Le bossk eut un soubresaut, puis ses membres tremblants mollirent peu à peu.
Le bossk reposait sur le flanc. On voyait luire sa peau huileuse sur des bosses de muscles. Il dégageait une odeur insupportable. Voraces, des escadrilles de mouches s’abattaient déjà sur sa dépouille gigantesque.
Le premier groupe de chars était invisible. Les regards butaient sur le grand cadavre qui coupait la route. Terr parla dans la téléboîte.
— Bien travaillé, dit-il. Comment va le chef de patrouille?
— Il est mort, répondit une voix dans l’appareil. Le bossk l’a atteint en pleine figure d’un jet de salive. Les acides l’ont rendu méconnaissable.
L’Édile ne s’attarda pas en vaine sentimentalité.
— Y a-t-il des chars équipés de canons-harpons parmi nous?
— Deux, dit le guide en désignant un couple de véhicules un peu en arrière.
C’étaient des machines prévues pour débarrasser la route de certains obstacles gênants, comme des troncs d’arbres morts ou des rocs éboulés.
Terr fit lancer un harpon dans le garrot du monstre. La détonation fut suivie d’un choc mou tandis que le câble fouettait l’air à la suite du harpon vibrant à mi-hampe dans la chair morte.
Terr étudia la position de la bête et donna l’ordre de tirer un second projectile un peu plus bas. Puis les chars firent marche arrière, dérapant dans l’humus. Les câbles se tendirent à craquer, les harpons parurent sur le point d’arracher des quartiers de viande au cadavre. Mais celui-ci tourna lentement sur lui-même et bascula sur le dos.
Les chars poursuivirent leur effort, avancèrent encore de quelques millistades pour faire volter la bête sur une déclivité naturelle. En vain. Les chenilles métalliques arrachaient rageusement des paquets de terre noire. On sentait qu’il y avait équilibre presque parfait entre la force de traction et l’inertie de cette montagne de graisse. On sentait qu’il ne fallait qu’un coup de pouce pour réussir, pour vaincre le poids de l’animal.
Donnant l’exemple, Terr sauta sur le sol et prit un câble à pleines mains. Plusieurs oms l’imitèrent, nouant leurs poignes sur le métal, tirant pour aider les chars.
L’effort des deux machines les avait rapprochées. Les deux groupes de haleurs se mêlèrent presque en un seul grouillement de muscles tendus. La chenille avant d’un char frôla le flanc métallique de l’autre… Une étincelle prodigieuse jaillit comme la foudre, de ce contact imprévu. Tous les oms furent jetés à terre par la décharge.
Un moment de stupeur paralysa tout le monde. Quelques étincelles illuminèrent encore des visages ahuris. Puis un char glissa légèrement de côté, s’écarta de l’autre. Le phénomène cessa.
— Qu’est-ce que…? émit Terr.
— Je crois que je sais! dit la voix de Sav.
Terr tourna la tête et reconnut le naturaliste. Assis dans une ornière boueuse, celui-ci souriait.
— Tu es là, toi? s’étonna l’Édile.
— Je n’aurais pas voulu rater une chasse au bossk!
— Tu savais que les bossks…
— Dégagent de l’électricité, non!
— Alors?
Sav se mit debout et frotta sur sa tunique ses mains souillées de terre.
— En fait, nous produisons tous un peu d’électricité. Nos muscles, du moins, pourraient en produire. Oh! très peu!.. Si l’on réunit par un fil conducteur un point de la surface extérieure d’un muscle, et un point situé au centre de ce muscle, on obtient un courant!
— Oui, dit Terr, je sais bien, mais…
— Le premier harpon a plongé droit au centre du muscle saltipare, le plus gros muscle du bossk. L’autre pointe s’est presque piquée en séton, un peu plus bas. Je présume qu’après avoir traversé la couche de graisse elle effleure à peine la surface du saltipare. Les câbles étant métalliques, quand les deux chars se sont touchés, ils ont fermé le circuit. D’où cette décharge!
Terr branla la tête:
— Je n’aurais jamais cru…
— Tu oublies que ce muscle pèse des mégapoids à lui tout seul!
— Oui, eh bien… Mais que se passe-t-il, là-bas?