Читаем Oms en série полностью

Quelqu’un parla sous le nez d’un guide.

— Drôle de comité d’accueil! Je croyais qu’on aurait droit à une petite fête. Ça se fête, non, la dernière colonne d’émigrants?

Le guide recula son visage pour fuir une haleine fiévreuse.

— Allons, allons, avancez!

Tout cela au milieu des cris, des conversations, des questions, des ordres, des piaillements d’omes et d’enfants.

Chacun récriminait plus ou moins, aigri par les fatigues de la marche. Mais chacun sentait aussi battre son cœur à l’unisson d’une immense foule. Chacun réprimait dans le noir un sourire personnel, issu de la satisfaction de se sentir épaulé, bousculé par la présence rassurante des autres.

Grisés par le bruit martial des chars, par la présence toute proche d’une cité, par le piétinement infini du troupeau, les oms sentaient germer dans leurs cœurs une plante vivace, une plante qui poussait délicieusement ses racines intimes dans leurs tripes: le sens d’un bonheur collectif, une impression de force et de nombre qui faisait oublier les meurtrissures, les pieds blessés, la soif et la poussière.

Un grondement impératif de machine couvrit l’immense murmure. À grands coups de pinceaux lumineux, un char frayait sa route dans la multitude, tandis que, ouvert en grand, un haut-parleur clamait:

— Place! Place au char de l’Édile!

Et tous sentirent confusément la noblesse de la formule. Une espèce de poésie de la puissance dilata tous les cœurs. Chacun nargua en secret les draags et leurs sphères. L’ordre fut répété par cent, par mille bouches, transformé en vivats.

— Place à l’Édile! Place au char de l’Édile! Vive l’Édile! Bonheur sur l’Édile! Bonheur! Place au char!..

Le bruit de la lourde machine ébranla des voûtes, ses phares éclairèrent des parois scintillantes de cristaux. Et chacun s’aperçut qu’il marchait sous terre depuis déjà longtemps. Trompés par la nuit, les oms ne s’étaient pas vus entrer dans les grottes.

Les voix ne se perdaient plus dans la brise du plateau. Elles ricochaient, sonores, faisaient trois tours, revenaient sur elles-mêmes, s’enroulaient en d’étranges danses acoustiques. On provoqua les échos avec des rires d’enfants:

— Ho!

«Ho! Ho! Ho, ho, o, o…»

— Ha!

«Ha! Ha, a, a…»

— Vive l’Édile!

«Édile! Édile, dile, ile…»

— Ho! Ha! Édile, dile, o, a, Ha! Dile, o…

Ce fut un vrai vacarme de fête foraine, dominé par le brouhaha trop fort et incompréhensible des recommandations officielles.

Soudain, un grondement terrible suspendit ces jeux. Quelque chose d’énorme roulait au flanc des rocs, faisait voler en éclats un cristallin jeu d’orgues, s’écrasait en mille projectiles pesants qui roulaient encore avant de plonger lourdement dans un lac sans fond.

Les oms se turent, angoissés. La voix d’un guide devint audible:

— … Dangereux de faire du bruit! Certains rocs ne tiennent que par un fil et peuvent se décrocher brusquement!

On s’aperçut alors que les chars avaient disparu. Ils avaient dû obliquer par des voies réservées aux parcours rapides. Et leur bruit de ferraille s’était perdu dans les entrailles du sol.

Des «chut» coururent dans le noir. Tout le monde progressa en silence. On entendit alors chanter l’âme des grottes.

C’était, immense dans la nuit, le son A… un A magnifique et discret, éternellement chuchoté, inquiétant et interminable, soufflé comme une haleine par des gouffres invisibles. Puis, suivant les détours du trajet, un «Oooo!» sourd et profond. Et les oms aveugles peuplaient l’ombre d’hallucinations. Ils devinaient des entonnoirs ouverts comme des gueules, sur leur passage. Et puis des lèvres de pierre, distendues en grimaces figées.

— Pourquoi n’allume-t-on pas? osa demander quelqu’un.

Un guide répondit:

— Nous avons ordre d’économiser toutes les sources de lumière tant que le plan d’électrification ne sera pas accompli. Ne vous inquiétez pas et marchez les uns derrière les autres en vous tenant par la main. La route est sûre ici. Plus loin, on distribuera des flambeaux.

Des protestations étouffées jaillirent çà et là.

— Par la main! Comme si c’était commode!

— J’ai besoin de mes deux mains pour tenir ma charge!

La voix du guide reprit:

— Dans peu de temps, vous pourrez déposer vos charges. Patientez un peu.

Ils allaient dans la nuit. Leur instinct leur disait qu’ils franchissaient des abîmes sur des ponts naturels. Par moment, une acoustique compliquée leur envoyait un tumulte de cascade ou bien le sucement avide d’une galerie aspirant des eaux courantes.

Plus loin, ils se sentaient traverser des salles immenses où des gouttes jouaient un petit air rythmé, toujours recommencé, en tombant de très haut sur des pierres plates ou dans des vasques de formes différentes…

Enfin, ils virent des lumières. Des flammes se tordaient ici et là, répandant une odeur de résine, éclairant des circonvolutions rocheuses et des failles tourmentées.

Ils tombèrent sur un petit groupe d’oms empilant des paquets les uns sur les autres dans une anfractuosité.

— Posez vos charges! disait un guide au passage. Prenez ça, c’est moins lourd!

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