— Je vais les chercher, dit-il.
Quelques minutes plus tard, il était de retour. Il posa de lourds registres devant l’Édile.
Celui-ci les ouvrit de ses doigts nerveux.
— Voyons… Sucre, suif, tachymètre… Tamis…
Il leva la tête:
— Tamis? Qui a eu l’idée saugrenue de charger les bâtiments avec des trucs pareils?
— Non, Édile, protesta un maître-bord. Ce sont des tamiseurs de rayons!
Terr chercha plus loin.
— Tarières… Télébarrage! Les éléments sont au nombre de cent cinquante. Cinquante ont été perdus avec le bâtiment 3. Les cent autres sont répartis, comme suit: cinquante dans la ville, salle 7, réserve B, cinquante dans le navire resté à la base de débarquement (soute 2).
Il déplia une carte du Continent Sauvage en disant:
— On voit que les draags sont riches, ils n’ont pas fait les choses à moitié. Cent cinquante éléments pour cerner un petit port! Il y aurait de quoi protéger tout le continent.
— Nous pouvons faire cet émetteur! dit Charb avec enthousiasme.
— Et le courant?
— Le plan d’équipement électrique prévoit une puissance totale de 50 000 unités. En remplaçant, lors d’une attaque, toutes les lampes et tous les appareils par de simples torches ou de simples feux, en consacrant tout le courant disponible à l’émetteur…
— Nous aurons 50 000 puissances! coupa Terr. C’est insuffisant. À première vue, du moins.
Il poussa la carte sous le nez d’un technicien.
— Nous sommes à six cents stades de la côte la plus proche, à trois mille stades de la plus éloignée. Qu’en pensez-vous?
Le technicien se livra à un rapide calcul.
— Il nous faudrait cent cinquante mille puissances pour que le télébarrage ne déçoive pas nos espoirs.
— Peut-on les obtenir en forçant le plan d’électrification?
— Non, Édile. Pas avant des mois. Nous n’avons pas assez de matériel.
Vaill mit sa main sur l’épaule de Terr, les yeux brillants.
— En y ajoutant les piles des chars et celles de toutes les téléboîtes… et celles du navire que j’allais oublier!
Terr se frappa dans les mains et parla dans une téléboîte.
— Statistiques? Ici, l’Édile. Toutes affaires cessantes, voulez-vous me faire le total de toute l’énergie disponible en électricité… Non, tout! En additionnant les piles des téléboîtes et des chars, celles du navire, les piles de chauffage, tout, vous comprenez? Quand aurai-je la réponse?
Un quart d’heure plus tard, la réponse arrivait: cent vingt mille puissances.
— C’est trop bête, dit Terr. Il ne nous manque que trente mille unités.
Son front se plissa. Où trouver le complément? Il rêvait de turbines, de courant, d’étincelles géantes. Une image l’assaillit:
— Les bossks! dit-il.
Personne n’eut l’air de comprendre. Il dut leur rappeler l’accident survenu dans la jungle, parla d’électricité musculaire. L’idée était à la fois géniale et baroque.
Sav ne faisait pas partie du conseil. On eut besoin de ses lumières. On le fit demander par téléboîte et Terr lui exposa ses difficultés, ses espoirs. Mais le naturaliste branlait la tête.
— Non, dit-il. Vous vous êtes laissé entraîner par votre imagination. Réfléchissez au nombre de bossks nécessaires au projet. Il faudrait les chercher, les tuer, car je doute qu’on puisse leur faire comprendre nos difficultés pour qu’ils viennent de plein gré…
Il eut un rire sans joie pour saluer sa plaisanterie et poursuivit:
— Ce ne serait pas un mince travail et ça prendrait du temps. Vous ne réussiriez à tirer ici que des charognes sans utilité. Ces muscles seraient depuis longtemps en pleine putréfaction.
— Mais pourquoi s’attacher aux bossks? Il ne manque pas d’animaux gigantesques dans ce pays. Je suppose que le phénomène serait identique.
— Le problème aussi. Je…
— Des cervuses!
— Évidemment, ce serait plus facile à tuer et à transporter. Mais vous passeriez un temps fou à mettre leurs muscles en série, et au moment de vous en servir, la putréfaction aurait fait son œuvre. Il faudrait tout recommencer… Au fond ce n’est pas bête comme idée, mais à deux conditions: utiliser des animaux en très grand nombre, les utiliser vivants! Ce qui pose des problèmes insolubles à si brève échéance. Il faudrait de véritables écuries, ou des étables, appelez ça comme vous voudrez. Trouver un moyen de faire rester les bêtes tranquilles, leur fournir de la nourriture… oh! la la! Vous auriez plus vite fait d’essayer de mettre des turbines en route, ou de fabriquer des écrans solaires.
— Pas de matériel! dit sombrement l’Édile. Le plan ne prévoyait qu’un débit de 50 000 unités.
Sav se gratta le front.
— À moins que…
— Quoi?
— En cas d’attaque, avons-nous besoin de beaucoup d’oms?
— Si nous avions des armes, il nous faudrait autant d’oms que d’armes, mais nous n’avons rien. Les oms seraient plutôt une charge, une cible à protéger. Ils ne serviront à rien dans la lutte s’ils ont les mains vides. Seuls quelques centaines pourraient s’occuper de l’émetteur et de divers petits postes d’alerte. Ce serait une guerre intégralement défensive.
Sav prit le bras de l’Édile et dit en lui massant familièrement le biceps:
— Sais-tu combien ce muscle peut donner?