Читаем Orchéron полностью

Ankrel renonça à explorer les autres salles. Stoll et Gehil auraient entendu sa voix et lui auraient répondu s’ils en avaient eu la possibilité. Il ne servait à rien de rester plus longtemps dans ce gouffre. La pénombre paraissait abriter une menace imperceptible, sournoise. Il décida néanmoins d’achever le remplissage des gourdes : ils risquaient d’en avoir le plus grand besoin, le deuxième continent était avare en eau. Il remisa son poignard, s’accroupit à nouveau, plongea deux gourdes dans la nappe et garda la tête tournée vers l’arrière pendant qu’elles gonflaient dans un gargouillement prolongé. La densité du silence le suffoquait, il se raisonnait pour ne pas prendre ses jambes à son cou.

Deux taches claires attirèrent son attention au-dessus de lui. Il affina son observation tout en rebouchant les deux gourdes, distingua des sortes de grands sacs suspendus à la roche et faits d’une matière transparente. Il faillit pousser un hurlement d’horreur lorsque, ses yeux s’accoutumant à la pénombre, il reconnut le visage de Stoll dans l’un et celui de Gehil dans l’autre. Leurs yeux grands ouverts brillaient comme des étoiles tragiques dans la nuit de la voûte.

Ils étaient vivants, conscients, mais incapables de se libérer, condamnés à agoniser pendant des heures, pendant des jours à l’intérieur de leurs prisons transparentes. Des cris, des supplications s’échappaient sans doute de leurs bouches béantes, mais Ankrel ne les entendait pas. La voûte était entièrement hérissée de ces sacs, comme une cave de conservation bourrée de quartiers de viande suspendus. Épouvanté, il chercha fébrilement un moyen de secourir les deux lakchas. Peut-être pourrait-il se rapprocher en grimpant sur les rochers et en se suspendant aux stalactites ? Non, ces dernières étaient un peu trop espacées, et certaines, très fines, risquaient de s’effriter sous son poids. Jeter son poignard pour provoquer une déchirure dans la matière qui les retenait prisonniers ? Elle était probablement d’une solidité à toute épreuve, ne serait-ce que pour les maintenir suspendus, et son poignard risquait de retomber dans l’eau et de ne servir qu’une seule fois.

Il devait se rendre à l’évidence : il n’y avait aucune solution. Leur calvaire était inscrit quelque part dans le passé comme une fatalité. La mort dans l’âme, il passa les bandoulières des deux premières gourdes sur ses épaules et entreprit de remplir les deux autres. Puis la sensation de danger se fit si forte, si oppressante qu’il les lâcha, se déplia comme un ressort et se précipita vers l’escalier. À l’instant où il s’engouffrait sur les premières marches, il entrevit le fil blanc et rampant qui s’était déployé entre le fond de la grotte et le bord de la nappe et qui, surpris par sa réaction, se dirigeait à son tour vers l’escalier avec un petit temps de retard.

Le temps de sa décision.

Le temps infime qui séparait le chemin des lakchas du chemin des chanes. Il gravit les marches quatre à quatre sans se retourner jusqu’à ce qu’à bout de forces, à bout de nerfs, il s’effondre de tout son long au travers de l’escalier.

« J’en avais entendu parler, c’est vrai, mais j’avais complètement oublié leur existence. » Jozeo avait bu une généreuse rasade au goulot de la gourde avant de lever un regard indéchiffrable sur Ankrel, tremblant de colère en face de lui. « Est-ce que tu insinues, petit frère, que j’ai eu peur d’aller là-dedans ?

— Pourquoi avoir envoyé Stoll et Gehil ? cria Ankrel avec véhémence. Et puis moi ensuite ? Tu ne pouvais pas y aller toi-même ? »

Un rictus étira les lèvres sèches de Jozeo.

« Au cas où tu ne l’aurais pas compris, les cercles des frères de Maran sont basés sur la notion de hiérarchie. Et ce n’est sûrement pas au responsable hiérarchique de se charger des corvées. Si nous ne respectons pas ces principes, notre fraternité se désagrégera aux premières tempêtes. Tu crois vraiment que j’aurais volontairement sacrifié deux hommes alors que nous avons le plus grand besoin d’eux ? »

Sa voix s’était envolée dans les aigus à la fin de sa réplique, signe chez lui d’une nervosité excessive, d’une perte de contrôle.

« Tu as bien sacrifié Mazrel, rétorqua Ankrel.

— Lui était le membre pourri qui risquait de gangrener tous les autres. »

Jozeo n’était pas resté inactif pendant l’absence de son cadet. Il avait rassemblé les cinq yonks et les avait attachés aux gargouilles qui saillaient à l’intérieur du muret de la fontaine. L’état des bêtes alarma Ankrel. Leurs yeux habituellement brillants se tendaient d’un voile terne, leurs côtes se découpaient sur leur robe sale, leur toison s’en allait par plaques entières alors qu’elles entraient tout juste dans la période où elle était censée s’étendre et s’épaissir.

Il aurait fallu effectuer une vingtaine d’allers et retours dans le gouffre pour étancher leur soif, et Ankrel ne se sentait pas le courage de croiser le regard des deux lakchas suspendus à la voûte.

Перейти на страницу:

Все книги серии Abzalon

Похожие книги

Аччелерандо
Аччелерандо

Сингулярность. Эпоха постгуманизма. Искусственный интеллект превысил возможности человеческого разума. Люди фактически обрели бессмертие, но одновременно биотехнологический прогресс поставил их на грань вымирания. Наноботы копируют себя и развиваются по собственной воле, а контакт с внеземной жизнью неизбежен. Само понятие личности теперь получает совершенно новое значение. В таком мире пытаются выжить разные поколения одного семейного клана. Его основатель когда-то натолкнулся на странный сигнал из далекого космоса и тем самым перевернул всю историю Земли. Его потомки пытаются остановить уничтожение человеческой цивилизации. Ведь что-то разрушает планеты Солнечной системы. Сущность, которая находится за пределами нашего разума и не видит смысла в существовании биологической жизни, какую бы форму та ни приняла.

Чарлз Стросс

Научная Фантастика