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« Tiiiaaaa…»

Ankrel se dressa face au troupeau furieux qui, poussé par les rabatteurs, fonçait dans sa direction. Les yonks, lancés au grand galop, soulevaient un formidable panache de terre et d’herbe pulvérisées. Serrés les uns contre les autres, ils donnaient l’impression de ne former qu’un seul corps sombre étalé sur plusieurs centaines de pas, un gigantesque torrent traversé d’éclats scintillants et de flocons d’écume blanche.

Ankrel fléchit les jambes et resserra les doigts sur le manche légèrement concave du poignard de corne. Après cinq années d’instruction, le temps était venu pour lui de quitter le monde des apprentis, d’entrer dans le premier cercle des lakchas de chasse. Il apercevait les autres postulants répartis tous les cinquante pas de chaque côté du large sillon creusé par la chasse précédente, entièrement nus et armés de leur seul couteau de corne comme lui. Ils devraient, comme lui, tuer trois yonks avant la tombée de la nuit, prouver leur aptitude à devenir un lakcha, un homme capable de nourrir la communauté quelles que soient les circonstances, comme les enfants-dieux de l’arche des origines qui avaient vaincu les terribles robenoires et les Kroptes sanguinaires afin de fournir leurs rations quotidiennes aux fils et filles de l’Estérion. Les rayons rasants de Jael vêtaient les peaux hâlées et luisantes de la pourpre crépusculaire.

Ankrel s’efforça de respirer avec calme, de dissiper sa nervosité. Il n’avait pas peur des yonks, ces animaux qu’il avait appris à connaître tout au long de ces cinq années, mais il redoutait l’échec, l’infamie du crâne rasé, les moqueries des anciens, les deux années supplémentaires de probation, l’exclusion solennelle en cas de second revers. Il avait rapidement compris que les lakchas, taciturnes, avares de confidences, dispensaient leur enseignement par l’exemple. Il les avait donc observés avec une attention jamais prise en défaut, il avait analysé les techniques de ceux qui passaient pour être les meilleurs, puis, pendant que les autres apprentis se reposaient, il s’était exercé sans relâche dans la chaleur écrasante de la saison sèche ou sous les averses de cristaux de glace, le plus souvent dévêtu pour s’habituer à cette sensation de vulnérabilité que suscite la nudité.

Les yonks approchaient dans un grondement assourdissant. Leurs muscles ronds et leurs veines sombres se découpaient sous leurs robes lisses. Dans quelques semaines, ils commenceraient à s’habiller d’une graisse et d’une fourrure épaisses en prévision de l’hivernage. Leurs cornes recourbées, effilées, disparaîtraient sous une toison emmêlée qui s’en irait par plaques entières au retour de la saison chaude. Certains lakchas préféraient chasser le yonk « sec », plus musculeux, plus rapide, d’autres le yonk « gras », plus massif, moins vif mais plus difficile à égorger. Ankrel savait d’ores et déjà qu’il appartenait à la première catégorie. Il faisait de la vélocité et de la précision les qualités premières d’un bon chasseur. Il ne s’en était pas ouvert aux autres, bien entendu, car un apprenti n’était pas convié à exprimer ce genre d’opinion, mais il s’était débrouillé pour servir d’assistant à Jozeo, un homme grand, élancé, presque maigre, qui à ses yeux incarnait l’idéal du lakcha de chasse.

Un début de complicité s’était noué entre eux qui ravissait l’admirateur et, sans doute, flattait le modèle. Ankrel avait ainsi récolté quelques précieuses informations de la part de son aîné : « Évite de te suspendre aux cornes des yonks, ça les rend fous furieux, imprévisibles, dangereux ; tiens-toi prêt à les lâcher aussitôt que tu leur as planté ta lame dans la jugulaire, ou tu pourrais te retrouver coincé sous leur poids ; si tu tombes vers l’intérieur du troupeau, reste planqué derrière l’animal que tu viens d’abattre, les autres, en général, s’arrangent pour l’éviter ; répandre le sang d’un yonk est un acte sacré, rends grâce aux lakchas chaque fois que tu as la chance d’en tuer un… »

Ankrel vit l’apprenti le plus proche du troupeau bondir vers l’avant, se jeter dans le torrent de cornes, de mufles et d’échines, se suspendre au flanc d’un yonk, disparaître dans les remous sombres. Le crépitement frénétique des sabots résonnait dans sa cage thoracique avec une force effrayante. Du troupeau se dégageait une impression de puissance phénoménale, accentuée par la lumière rasante du crépuscule naissant, par l’oppressante immobilité de l’air encore figé de chaleur, par l’immensité de la plaine d’herbe jaune qui ne présentait aucun relief, aucune barrière capable d’endiguer ce flot impétueux.

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