Читаем Orchéron полностью

Orchéron s’avança jusqu’à la taille dans l’eau de la rivière Abondance. Une éclipte brilla à quelques pas de lui avant de disparaître, comme un éclat de soleil chassé par l’ombre frémissante des branches. L’herbe jaune et les frondaisons des jaules gémissaient sous les risées brûlantes. Il lui sembla déceler des éclats de voix dans la rumeur persistante de la plaine, mais, depuis qu’il s’était enfui du domaine d’Orchale, il avait l’impression d’entendre le souffle de ses poursuivants jusque dans le silence glacé des nuits et des aubes.

Il ne s’était jamais éloigné des rives d’Abondance de plus d’une lieue, conscient que, sans eau, il n’aurait pas résisté plus de six jours dans la chaleur torride de cette fin de saison sèche. Il avait fini sa réserve de vivres depuis bien longtemps – quatre ou cinq semaines –, mais il n’avait pas encore osé revenir au domaine malgré l’envie qui l’en pressait, malgré le désir obsédant, douloureux, de serrer Mael dans ses bras, d’embrasser Mael, de s’enivrer de l’odeur et de la douceur de Mael. Il se nourrissait d’épis de manne crue dont il s’était habitué à l’amertume et à la consistance pâteuse, et de petits fruits bleus et acides qui poussaient sur certains ronciers. Pas de quoi contenter son appétit d’ogre qui faisait la fierté de sa mère Orchale lors des banquets du domaine. La faim le suivait comme une ombre, il flottait dans sa tunique et son pantalon, des vertiges le faisaient parfois trembler, chanceler. Il se terrait au milieu de collines habillées d’arbustes épineux et dormait dans une grotte peu profonde où s’invitait un froid mordant et avant-coureur de l’amaya de glace.

Deux fois par jour, il descendait de sa cachette pour aller s’abreuver et se baigner dans la rivière. Attentif aux bruits, il attendait un long moment avant de retirer ses vêtements et de se plonger dans l’eau fraîche. Le danger pouvait surgir à tout instant des buissons denses, des herbes hautes qui coiffaient les rives, des rochers qui se dressaient, obèses et lisses, au-dessus des grèves de terre craquelée. Pas seulement les protecteurs des sentiers mais aussi les furves, ces créatures dont on n’avait jamais réussi à déterminer si elles étaient amicales ou agressives. Ou encore les grands nanziers sauvages qui pouvaient se montrer dangereux s’il leur prenait l’envie d’expulser un intrus de leur territoire.

Il avait aperçu des umbres à plusieurs reprises, taches noires et lointaines sur un fond de ciel matinal. Ils étaient passés sans lui prêter attention, mais à nouveau la sensation très nette l’avait traversé qu’ils le reliaient à un passé qui lui appartenait et à un autre qui ne lui appartenait pas. En tout cas, aucune crise ne l’avait secoué depuis qu’il avait quitté le domaine, depuis, en réalité, qu’il s’était exposé aux prédateurs volants par la lucarne du silo.

L’eau ne le délivrait pas de son inquiétude, mais elle chassait les fatigues des nuits sans sommeil et délassait ses muscles noués. Cette fois encore, la tentation le traversait de prolonger son bain plus que de raison, quand un froissement prolongé des herbes derrière lui et la sensation d’être épié le poussèrent à regagner la rive et à se saisir de son couteau de corne. Il lui sembla entrevoir une forme sombre entre les tiges jaunes et frissonnantes. Le cœur battant, les nerfs à vif, la gorge nouée, il resta immobile, fléchi sur ses jambes, battu par une formidable rage de vivre.

Un nanzier surgit sur la rive opposée, un grand mâle aux plumes brun-rouge criblé d’ocelles noires et dorées. Sa tête plissée, ridiculement petite par rapport à son corps, se perchait au sommet d’un cou étroit et pelé. Elle se dotait d’un bec jaune et droit de la longueur d’un avant-bras, d’yeux globuleux et noirs et, au sommet du crâne, d’une aigrette de barbes transparentes qui oscillaient à chacun de ses dandinements. Aux extrémités de ses deux pattes puissantes habillées d’un duvet noirâtre, des serres recourbées et imposantes éventraient la terre comme des socs. Le grand volatile dominait Orchéron de deux bonnes têtes et atteignait sans doute le poids de quatre hommes. Il ne fallait pas se fier à son allure pataude et à sa stupidité apparente, il savait faire preuve de rapidité, de cruauté, d’efficacité, de cette sournoiserie qui tient lieu d’intelligence chez certaines espèces animales – et chez quelques représentants de l’espèce humaine. L’ébouriffage de ses plumes et ses caquètements secs traduisaient chez lui une grande agressivité. Fort heureusement, il n’appréciait que modérément le contact de l’eau et, comme son poids lui interdisait de voler, il n’avait pas d’autre choix que de traverser la rivière s’il voulait défier son adversaire. Il préféra donc renoncer au combat et s’abreuva pendant un long moment dans un détestable bruit de succion, s’interrompant régulièrement pour surveiller l’homme immobile sur l’autre rive.

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