Un mouvement sur sa gauche attira son attention. Il ne discerna qu’une trace sombre, un trait évanescent sur le fond embrasé du ciel, puis il s’aperçut que le cadavre de la fille noyée avait disparu. Les neuf umbres ne semblaient pas avoir bougé d’un pouce, là-haut, et pourtant l’un deux venait de piquer vers le sommet de l’Ellab pour s’emparer d’un corps. Leur vitesse d’exécution dépassait, et de loin, tout ce que pouvaient en dire les lakchas de chasse, pourtant connus pour leur vantardise. Lobzal se demanda comment les monstres volants s’y prendraient pour trancher ses entraves et celles de sa mère, puis il perçut une succession de déplacements, une averse de stries verticales fugaces. Le petit garçon victime de la fièvre des pollens ainsi que trois anciens avaient à leur tour disparu. À la place qu’ils avaient occupée, la mousse légèrement tassée par leur poids s’était noircie, pétrifiée, comme brûlée par le gel.
Lobzal eut un hoquet d’épouvante qui le rejeta en arrière et accentua la pression de la corde sur son cou. Des gouttes d’urine s’écoulèrent dans son pagne de peau, brûlantes, irritantes, humiliantes. Autour de lui, les corps s’évanouissaient l’un après l’autre, comme aspirés par d’invisibles bouches. Seuls les courants d’air froid et les brusques changements de luminosité trahissaient le passage des umbres.
La dernière image qu’il eut de sa mère fut celle d’une femme échevelée, à demi dénudée, guettée par la folie. Un voile ténébreux s’abattit sur elle et la recouvrit pendant un temps très bref, de l’ordre d’un clignement de cils. Elle s’effaça du sommet de l’Ellab à la vitesse d’un rêve. D’elle il ne resta rien, pas même les piquets et les cordelettes qui l’avaient clouée au sol.
À peine la forme de son corps sur la mousse pétrifiée.
À peine un souvenir.
Lobzal poussa un hurlement et s’affaissa sur le dos. Ballotté par les sanglots, étranglé par les cordes, il était désormais seul sur la colline des morts.
CHAPITRE II
DJEMALES