Grandement impressionné, le jeune homme de Tarse ne savait pas quoi répondre. Il présumait que son maître respectable était mentalement atteint par excès d'élucubrations. Celui-ci, néanmoins, comme s'il devinait sa pensée, a ajouté :
Ne me crois pas mentalement malade. La vieillesse du corps n'a pas effacé ma capacité de réflexion et de discernement. Je comprends le scandale qui surgirait à Jérusalem si un rabbin du Sanhédrin modifiait publiquement ses convictions les plus intimes. Mais il faut reconnaître que j'en parle à un enfant spirituel. Et en exposant, sincèrement, mon point de vue, je le fais uniquement pour défendre des hommes généreux et justes de la sentence inique et indue.
Votre révélation - s'exclama Saûl précipitamment -me déçoit profondément !
Tu me connais depuis tout petit et tu sais que l'homme sincère ne se sentira pas touché par ceux qui lui font des éloges ou déplorent l'accomplissement d'un devoir sacré.
Et donnant à sa voix un ton affectueux, il lui a demandé avec sollicitude :
Ne me fais pas aller avec toi, dans cette assemblée, assister à des débats publics scandaleux qui portent atteinte à l'expression aimante que toute vérité porte en elle. Tu libéreras ces hommes en témoignage de notre passé d'entendement mutuel. C'est tout ce que je te demande. Laisse-les en paix par amour pour notre attachement. Dans quelques jours, tu n'auras plus besoin d'accorder quoi que ce soit à ton vieux maître. Tu seras mon substitut dans ce cénacle car je prévois d'abandonner la ville prochainement.
Et comme Saûl hésitait, il a continué :
Tu n'auras pas besoin de réfléchir beaucoup. Le grand sacrificateur est informé que pour les prisonniers je plaiderai la clémence.
Mais... et mon autorité ? - a interrogé le jeune avec orgueil. - Comment concilier l'indulgence avec le besoin de réprimer le mal ?
Toute autorité vient de Dieu. Nous ne sommes que de simples instruments, mon fils. Personne n'est rabaissé pour être bon et tolérant. Quant à la mesure la plus digne dans le cas présent, c'est de leur accorder à tous la liberté.
Tous ? - a dit Saûl dans un mouvement impétueux.
Pourquoi pas ? - a confirmé le vénérable docteur de la Loi. - Pierre est un homme généreux, Philippe est un père de famille extrêmement dévoué à l'accomplissement de ses devoirs, Jean est un jeune homme simple, Etienne s'est consacré aux pauvres.
Oui, oui - a interrompu le jeune tarsien. - Je suis d'accord quant à la libération des trois premiers avec une condition. Puisqu'ils sont mariés, Pierre et Philippe pourront rester à Jérusalem limitant leurs activités à l'aide des malades et des nécessiteux ; Jean sera banni ; mais Etienne devra souffrir la sentence capitale. J'ai déjà proposé publiquement la lapidation, et je ne vois pas de raison pour transiger, car pour l'exemple au moins un des disciples du charpentier doit mourir.
Gamaliel comprit la force de cette résolution par la véhémence de ses propos. Saùl a expliqué clairement qu'il ne transigerait pas quant au thaumaturge. Le vieux rabbin n'a pas insisté. Pour éviter un scandale, il comprenait qu'Etienne paierait par le sacrifice. D'ailleurs, considérant le tempérament volontaire de l'ex-disciple à qui la ville avait conféré des attributions si vastes, ce n'était pas peu que d'obtenir la clémence pour les trois hommes justes voués au bien commun.
Comprenant la situation, le respectable rabbin dit : - Très bien qu'il en soit ainsi !
Et, avec un sourire de bonté, il a laissé le jeune homme un peu inquiet et perplexe.
Quelques instants plus tard, à la surprise générale de l'assemblée, Saûl de Tarse, à la tribune, proposait la libération de Pierre et de Philippe, le bannissement de Jean, et réitérait la demande de lapidation pour Etienne, le considérant comme le plus dangereux des éléments du « Chemin ». Les autorités du Sanhédrin appréciant avec satisfaction les décisions prises car ils savaient que la mesure satisferait la foule nombreuse, ont affirmé leur approbation unanime et la mort d'Etienne a été repoussée à une semaine plus tard, invitant Saûl et ses amis à la triste cérémonie publique qu'il présiderait en personne.
LA MORT D'ETIENNE
Malgré ses intenses activités, le jeune homme de Tarse n'avait pas cessé de comparaître régulièrement chez Zacarias où, dans le cœur d'Abigail, il allait trouver le repos nécessaire. Si les luttes à Jérusalem consommaient ses forces, auprès de la femme aimée il semblait les retrouver, au doux ravissement avec lequel il attendait la réalisation de ses plus chers espoirs. Il avait l'impression que le monde était un champ de bataille où il devait combattre pour La loi de Dieu et comme l'Éternel était juste et généreux, il lui avait accordé dans le dévouement de son élue un havre de consolation.