Serais-tu disposé, maintenant, à jurer contre le charpentier nazaréen ? Souviens-toi que c'est ta dernière chance de rester en vie.
Ces mots, prononcés mécaniquement, retentirent étrangement aux oreilles du jeune homme de Corinthe qui les reçut dans son âme sensible et généreuse comme de nouveaux dards d'ironie.
N'insultez pas le Sauveur ! - a dit le héraut du Christ avec intrépidité. - Rien au monde ne me fera renoncer à sa tutelle divine ! Mourir pour Jésus est une gloire quand on sait qu'il s'est immolé sur la croix pour l'humanité entière !
Mais un torrent d'injures lui a coupé la parole.
Ça suffît ! Lapidez-le au plus vite ! Mort à l'immonde ! À bas le sorcier ! Blasphémateur!... Calomniateur !
Les cris prenaient des proportions terrifiantes. Quelques pharisiens plus irrités, trompant les gardes, se sont approchés d'Etienne, essayant de le traîner sans compassion.
Néanmoins, au premier mouvement pour tirer son col usé, un morceau de la tunique déchirée leur est resté dans les mains. Les forces armées durent intervenir à ce moment-là pour que le jeune homme de Corinthe ne soit pas massacré par la foule furieuse et délirante. À voix haute, Saûl a ordonné l'intervention des soldats. Il voulait l'exécution du disciple de l'Évangile mais avec tout le cérémonial prévu à cette occasion.
Maintenant le visage d'Etienne était rouge et honteux. À demi-nu, il fut aidé par un légionnaire romain à remettre les restes de ses habits en haillons sur ses reins pour ne pas être complètement nu. La main tremblante par les mauvais traitements reçus, il cherchait à nettoyer la salive que les plus exaltés lui avaient crachée en plein visage. Il avait reçu un coup à l'épaule qui lui causait une douleur intense dans tout le bras. Il comprit que ses derniers instants de vie étaient venus. L'humiliation le faisait profondément souffrir. Mais il s'est souvenu des descriptions de Simon concernant Jésus dans ses derniers instants. Devant Hérode Antipas, le Christ avait souffert des Israélites des ironies identiques. Il avait été battu, ridiculisé, blessé. Presque nu, il avait supporté tous les affronts sans une plainte, sans la moindre expression indigne. Lui qui aimait les malheureux, qui avait œuvré pour fonder une doctrine d'entente et d'amour entre tous les hommes, qui avait béni les plus malheureux et les avait accueillis avec affection, avait reçu la récompense de la croix dans des supplices incommensurables. Alors Etienne se dit : - « Qui suis-je et qui était le Christ ? « Cette interrogation au fond lui apportait une certaine consolation. Le Prince de la Paix avait été traîné dans les rues de Jérusalem sous le coup des plus violentes injures, et c'était le Messie attendu, l'oint du Seigneur ! Pourquoi alors, lui qui n'était qu'un homme fautif, porteur de nombreuses faiblesses, devrait-il hésiter au moment du témoignage ? Et alors que des larmes coulaient sur son visage lacéré, il écoutait la voix caressante du Maître dans son cœur : « Quiconque désireux de participer à mon royaume, se nie lui-même, prend sa croix et suit mes pas ». Il fallait se nier pour accepter le sacrifice salutaire. Au bout de tous les martyres, il devait trouver l'amour glorieux de Jésus avec la beauté de sa tendresse immortelle. Le prédicateur humilié et blessé s'est rappelé de son passé de travail et d'espoirs. Il lui semblait revoir son enfance où le zèle maternel lui avait inculqué les fondements de la foi réconfortante ; ensuite, les nobles aspirations de la jeunesse, le dévouement paternel, l'amour de sa petite sœur que les circonstances du destin lui avaient ravie. En pensant à Abigail, il ressentit de l'angoisse dans son cœur. Maintenant qu'il devait affronter la mort, il désirait la revoir pour ses dernières volontés. Il s'est souvenu de la dernière nuit pendant laquelle ils avaient échangé tant d'impressions de tendresse, tant de promesses fraternelles dans la sombre prison de Corinthe. Malgré les mouvements rénovateurs de la foi dont il partageait les travaux activement à Jérusalem, jamais il n'avait pu oublier son devoir de la retrouver, où qu'elle soit. Pendant ce temps, autour de lui se multipliaient les injures dans un tourbillon de cris et de menaces révoltantes, le condamné pleurait à ces souvenirs.
S'accrochant aux promesses du Christ dans l'Évangile, il ressentait un doux soulagement. L'idée que sa chère sœur resterait en ce monde, livrée à Jésus, soulageait les angoisses de son cœur.
Mais il était à peine sorti de ses pénibles réminiscences qu'il entendit la voix impérieuse de Saûl s'adressant aux gardes :
- Attachez-le à nouveau, tout est consommé, allons dans l'atrium.
Tendant ses poignets, le disciple de Simon Pierre, prêt à être enchaîné, reçut des coups si violents d'un soldat sans scrupules que de ses pouls blessés se mit à jaillir beaucoup de sang.