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Toutes ces remarques seraient presque oiseuses si nous négligions d’y remarquer l’essentiel, à savoir que les langues parlent en suivant un certain esprit. Si nous sommes attentifs à l’indication que donne la langue allemande, nous pouvons commencer par entrevoir ceci: poser une question, ce n’est pas toujours simplement demander à ce que soient recueillis des renseignements à propos de ce sur quoi l’on s’informerait. Et pour passer au sujet qui nous occupe, ce pourrait être l’occasion de pressentir que la technique, la technique elle‑même n’est pas là sous nos yeux, immédiatement accessible et analysable comme un simple objet qu’il est loisible d’examiner, mais bien qu’elle échappe au type de prises que nous déployons habituellement pour saisir ce que nous avons sous les yeux, de sorte que questionner la technique impose dès le départ d’abandonner cette attitude familière, pour se mettre en route vers elle — et ne pas tarder à y faire une expérience, à savoir que cette démarche présente une allure hautement paradoxale, le moindre des paradoxes n’étant pas qu’aller vers elle ne diminue pas la distance qui nous en sépare. En d’autres termes: aller vers la technique, c’est devoir être après elle; mieux encore — si nous acceptons à notre tour de nous laisser guider nous aussi par l’esprit de notre langue — faisant droit à la vieille locution classique: devoir, vis à vis de la technique, être après à questionner… — entendons parler notre langue: être occupés à questionner — mettre tous nos soins, déployer toute notre attention pour prendre, face à la technique, la seule posture qui la laisse elle‑même venir d’elle‑même apporter les mots en lesquels elle va se phénoménaliser.

La question de la technique n’est pas une question facile. Non pas qu’elle impliquerait un déploiement d’enquêtes excédant les capacités que nous sommes individuellement en état de mettre en œuvre, mais tout simplement parce qu’elle demande un changement sans précédent du mode de questionnement.

Envisager ne serait‑ce qu’un changement quelconque, voilà qui ne va pas sans susciter quelque perturbation. Mais ce changement‑là, le changement du mode de questionnement, risque de bouleverser d’une manière si profonde, qu’il est prudent de commencer par s’y exercer pour ainsi dire du dehors (c’est—à-dire d’abord par des décalages formels) avant de l’entreprendre pour de bon.

À titre préparatoire, regardons le titre choisi par Heidegger lorsqu’il s’est agi de publier, en 1962, le texte du cours professé pendant le semestre d’hiver 1935/1936, et qui s’intitulait originalement: Questions fondamentales de la métaphysique.

Le livre de 1962 porte le titre: “Die Frage nach dem Ding”. Ce titre permet de vérifier ce que nous venons d’avancer. À première vue il donne à entendre que l’on s’y interroge sur ce qu’est une chose. Mais en réalité il invite à nous livrer à un exercice dont la pratique demande des qualités peu cultivées, l’exercice qui consiste à envisager face à face (si l’on ose dire) quelque chose qui ne cesse d’échapper; à savoir, dans le cas précis, le fait qu’une “chose” — ce que nous nommons “une chose”, et que les Allemands nomment “ein Ding” (les Anglais “a thing”) — il se pourrait bien, malgré toutes les découvertes techniques qui s’accumulent depuis des siècles, que nous en soyons beaucoup plus éloignés que nous ne pensons; si éloignés même, que nous ne pressentons plus guère ce que sont les choses, ce qu’elles sont, désormais, radicalement à notre insu (raison pour laquelle un malaise presque insupportable s’installe, à peine quelqu’un en vient‑il à simplement énoncer que ce que nous pensons aujourd’hui des choses nous barre l’accès à ce qu’elles sont en vérité).

Ce que sont les choses, Heidegger nous invitera plus tard à en apprendre le B, A, BA à même l’expérience la plus humble, en faisant paraître que la moindre des choses n’est vraiment que dans la mesure où, avec elle et en elle, est en cause et se rassemble le cadre entier non seulement de toutes les choses, mais de tout ce qui est.

Avant cette leçon de chose, on peut lire à la dernière page du livre publié en 1962 (dont on pourrait rendre le titre en disant Questionner après la chose):

«Nous avons dit plus haut que la question de la chose [die Dingfrage] était une question historiale; à présent nous voyons plus lisiblement à quel point il en est bien ainsi. La manière dont Kant questionne après la chose consiste à questionner après “intuitionner” et “penser”, après “l’expérience” et ses “principes”; ce qui signifie: cette question questionne après l’homme. La question: Qu’est‑ce qu’une chose? n’est autre que la question: Qui donc est l’être humain?

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