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Lorsque j’étais môme, j’avais honte de mon frère aîné parce qu’il s’était arrêté et allait rester jeune pour toujours. Je le fuyais. Il avait un regard plein d’incompréhension, comme s’il demandait qui lui avait fait ça et pourquoi. Je ne savais pas encore que l’incompréhension va toujours plus loin que tout le savoir, plus loin que le génie, et que c’est toujours elle qui a le dernier mot. Le regard de mon frère est beaucoup plus près de la vérité qu’Einstein.

Je le déclare ici-bas, au vu et au su : je suis contre l’acide désoxyribonucléique, facteur d’hérédité. C’est un criminel de droit commun.

Il y eut ensuite des coups de téléphone nocturnes. D’abord, une nuit, je reçus un coup de téléphone de Plioutch. Plioutch était alors un mathématicien de génie humain que d’autres représentants du génie humain en URSS avaient enfermé dans une clinique psychiatrique, pour le rendre fou par un traitement chimique approprié. Aujourd’hui, au moment de mettre sous presse, Plioutch s’appelle Bukovski, car ça ne fait que changer de nom.

Les psychiatres soviétiques sont des ennemis acharnés de l’URSS, qu’ils calomnient aux yeux du monde. Un jour, on leur fera un procès, parce qu’ils travaillent tous pour la CIA.

— Ça va, Gégène ?

Je m’appelle Gégène, à mes moments perdus.

— Ça va. Qui est à l’appareil ?

— Plioutch.

C’est pas vrai, pensai-je. C’est mon caractère humain qui me cherche des crasses.

— Je ne connais pas de Plioutch.

Il me dit alors, tout simplement, d’une voix que je n’oublierai pas :

— Bien sûr que vous ne me connaissez pas, Gégène. Vous êtes normal. Il y a des centaines de millions d’hommes qui ne me connaissent pas et n’ont rien à en foutre. Dormez bien.

Et il a raccroché.

Vous n’allez pas me croire quand je vous dirai que dix minutes après, c’était Pinochet qui m’appelait au téléphone. On parlait alors beaucoup de Pinochet, parce qu’on ne s’était pas encore habitué.

— Ça va, vieux frère ? Un visage, des yeux, une gueule, des mains ?

— Foutez-moi la paix. Moi, j’ai rien de commun.

Ça a continué comme ça toute la nuit. Je suis resté jusqu’au petit matin au bout du fil. Ça venait d’Inde, du Bangladesh, du Cambodge, d’Afrique. Ce sont surtout les morts qui m’appelaient. Les morts, quand on les a au téléphone, ça ne s’arrête pas de parler.

J’ai fait mettre un répondeur automatique. Un gadget moderne, civilisé et spécialement prévu dans ce but, qui répondait que je n’existais pas, qu’il n’y avait pas de Pavlowitch, j’étais une mystification, un canular, je n’étais pas du genre. Je présentais évidemment certains signes extérieurs d’existence, mais c’était de la littérature.

Ça n’a pas marché.

Il y a des consciences équipées de répondeurs automatiques et ça marche très bien. Mais moi, je ne suis jamais parvenu à m’organiser.

C’est ainsi que je me suis rabattu une fois de plus sur mon système de défense et j’ai réussi à m’éviter tout ça, et surtout les hallucinations. Je suis redevenu un python qui n’a pas à savoir ni à répondre au téléphone. Ni Plioutch ni Pinochet ne peuvent appeler un python au téléphone au milieu de la nuit.

Ils ont essayé de me parler à travers la porte. Des flics. J’ai gueulé :

— Foutez-moi la paix. Je ne sais pas ce que j’ai encore fait, je ne lis pas les journaux, mais c’est pas moi. C’est pas mon genre. Je suis un reptile répugnant. J’ai rien d’humain. Je suis pas responsable.

Ils ont enfoncé ma porte, mais j’avais pris des précautions. J’avais acheté des souris, des rats entiers. Je me suis mis à les avaler sous leurs yeux pour leur prouver que j’étais un python et que Pinochet, j’avais rien de commun.

On m’a mis de nouveau chez les non-conformistes.

J’étais tranquille. Plus de messages téléphoniques. Comme python, j’avais droit à l’incommunicabilité.

C’est là que mon système de défense a vraiment commencé à fonctionner.

J’ai un oncle que j’appelle Tonton Macoute, parce que pendant la guerre, il était aviateur et il massacrait les populations civiles de très haut. Il faisait de temps en temps des cures de désintoxication à Copenhague, dans la clinique du docteur Christianssen. Il ne boit pas, ne se drogue pas et je pensais qu’il venait se désintoxiquer des populations civiles qu’il avait massacrées. Qu’il cherchait à se désintoxiquer de lui-même.

C’était faux. Tonton Macoute allait se faire désintoxiquer chez le docteur Christianssen à Copenhague parce qu’il fumait trop de cigares.

Je ne ferai aucun commentaire là-dessus. Aucun.

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