J’ai refusé le prix Goncourt en 1975 parce que j’ai été pris de panique. Ils avaient percé mon système de défense, pénétré à l’intérieur, j’étais affolé par la publicité qui me tirait de toutes mes cachettes et par les recherches de mes investigateurs à l’hôpital de Cahors. J’avais peur pour ma mère, qui était morte de sclérose cérébrale et dont je m’étais servi pour le personnage de Madame Rosa du livre. J’avais peur pour l’enfant que je cachais et qui avait peut-être douze ans à trente-quatre, comme moi, ou quarante, ou cent ou deux cent mille ans et encore davantage, car il faut remonter à la source du mal pour avoir le droit de plaider non coupable. J’ai donc refusé le prix, mais ça n’a fait qu’aggraver ma visibilité. On a dit que j’étais publicitaire.
J’ai été traité depuis et ça va mieux, merci. Au cours de mon dernier séjour en clinique, j’ai même écrit un troisième livre.
C’est exact. J’ai même été convié à ce titre, le 29 novembre 1975, au congrès national du Mouvement contre le racisme et l’antisémitisme, car les reptiles ont toujours été les premiers visés, comme détestés. Je n’ai pas pu m’y rendre, parce qu’à ce moment-là j’avais été remis en cage à Copenhague. Je remercie ici les organisateurs.
Je ne citerai pas, avec mépris, une fiche de mon dossier médical qui a un caractère nettement antisémite, puisqu’il y est dit que je suis juif. J’ai néanmoins cherché à savoir si mon sentiment d’indignité et de culpabilité n’était pas dû au fait que j’étais juif et que je n’avais donc pas crucifié Jésus, ce que les antisémites n’ont cessé de me reprocher depuis. Est-ce que je n’étais pas devenu python pour échapper à mon caractère juif ?
Le docteur Christianssen me dit que je me branlais trop.
Il n’était pas contre la masturbation, car un peu de dialectique, d’animation cérébrale et de satisfactions intellectuelles, ce n’est pas nuisible, c’est même propice, mais deux mille ans de branlette, c’est trop. Il m’a rappelé qu’il y avait maintenant les Noirs, les Arabes, les Chinois, les communistes, et que les Juifs n’étaient plus indispensables, pour se branler.
J’ai alors demandé au bon docteur si je n’avais pas été conduit à devenir un python parce que les Juifs avaient été propagés depuis deux mille ans comme usuriers et boas étrangleurs, et il m’a répondu que c’était parfaitement possible, j’étais capable de tout pour faire de la littérature, y compris de moi-même.
Je pensais à Tonton Macoute, qui est un écrivain notoire, et qui avait toujours su tirer de la souffrance et de l’horreur un joli capital littéraire.
Je me suis remis à écrire.
Comme vous voyez, je n’arrive pas à m’en sortir. Je suis cerné de tous côtés, et c’est l’appartenance.
J’ai à la clinique un collègue qui a réussi à déchiffrer les hiéroglyphes d’un dialecte égyptien précolombien et qui s’est mis à penser et à parler dans cette langue nulle et non avenue, inconnue de tous, sans prise en charge, et il a même laissé certains hiéroglyphes cunéiformes non déchiffrés, pour plus d’espoir. Tant qu’ils demeurent inconnus, ils cachent peut-être une révélation d’authenticité, une explication et une réponse. C’est un homme heureux, car il croit ainsi connaître quelque chose qui est encore resté intact.
Je n’observe pas la chronologie, l’ordre et les règles, dans ce document, car j’ai lu assez de romans policiers pour savoir que l’ordre risque de mener les flics jusqu’à moi et vous pensez bien que ce n’est pas pour cela que je me suis réfugié dans la clinique du docteur Christianssen, à Copenhague.