Reste l’auteur, ou plutôt son leurre qui, on s’en souvient, avait fini par être identifié par la presse. Il s’agit de Paul Pavlowitch dont la photo a été reconnue par d’anciens camarades de Cahors, le piège s’est refermé. Finies les identités instables et romanesques, voici un ancien étudiant en médecine, un peu voyou, retiré dans le Lot, qui a exercé et exerce encore toutes sortes de petits métiers, ce qui lui permet de garder le temps d’écrire, puisque telle est sa vocation. L’ennui, c’est que des journalistes, en creusant l’affaire, ont découvert qu’il est le neveu de son oncle. Tous les chemins mènent à Gary, qui l’a aidé, qui lui a trouvé un emploi au Mercure de France, qui l’héberge parfois à Paris, dans ses chambres de bonne réunies en petit appartement, rue du Bac. Désormais la meute des journalistes et des photographes ne leur laissa plus guère de répit ni à l’un ni à l’autre. Gary, atteint par cette tornade médiatique, refusa, malgré les conseils de ses avocats successifs, de révéler la vérité, c’est-à-dire de reconnaître qu’il était Ajar. Il tiendra cette ligne jusqu’à sa mort. Il décida au contraire de déclencher un nouveau contre-feu, imparable cette fois, qui le garderait définitivement à l’abri. Il publia dans Le Monde un démenti formel : « J’affirme que je ne suis pas Émile Ajar et que je n’ai collaboré en aucune façon aux ouvrages de cet auteur. » Le billet, signé Romain Gary, avait été remis à la directrice du Monde des livres, Jacqueline Piatier, agrémenté d’un post-scriptum picaresque : « Si ce n’était pas vrai, j’agirais exactement de la même manière. » Or cette phrase, non reproduite dans le journal, disait la vérité ; on ne se méfie jamais assez des picaros. Cela ne lui parut cependant pas suffisant pour couvrir sa fuite. Très angoissé, il eut alors l’idée d’écrire tout un livre de démenti. Ce fut Pseudo, un nouveau livre d’Ajar.