Le livre, dans sa version finale, se présente comme le monologue haletant, entrecoupé de dialogues, d’un Paul Pavlowitch, auteur véritable des livres d’Ajar, écœuré par l’attitude de son oncle écrivain qui veut récupérer à son profit la paternité des deux œuvres signées Ajar (Gros-Câlin et La Vie devant soi). L’auteur (Paul Pavlowitch donc) y apparaît comme un homme fragile soigné dans une clinique psychiatrique danoise, qui se livre, dans un délire de persécution, à un règlement de compte contre un Romain Gary qui, en dépit de gestes généreux dans le passé, se révèle jaloux, mesquin, vaniteux mais aussi redoutable et manipulateur. Il en fait un portrait terrifiant sur le plan psychique, comme l’étaient physiquement, en Haïti, du temps du dictateur François Duvalier, dit « Papa Doc », les brutes qui formaient sa garde prétorienne, familièrement appelées les Tontons Macoute. Gary dans le livre est donc tonton Macoute. L’attaque était si violente que Simone Gallimard et Roger Grenier, éditeur de Gary chez Gallimard et ami de l’écrivain, craignirent une réaction très vive de sa part avec des complications juridiques. Mais lui, grand seigneur, forcément puisqu’il était l’auteur de ce portrait à charge, joua le rôle du bon oncle, indulgent avec un neveu soucieux d’échapper à son emprise, bien réelle pour peu que l’on se livrât à une lecture comparée de leurs livres. Ce que la meute ne fit pas, se régalant de ce duel familial où Gary avait le mauvais rôle que beaucoup dans le monde littéraire aimaient bien lui voir tenir, pour des raisons aussi diverses qu’arbitraires. Et si en 1911, lorsque parut Clair de femme, on fit quelques recoupements avec Ajar, cela confirma que Gary était influencé par son neveu.
Le succès de l’opération dépassa les espérances de Gary. Tout le monde ou presque s’y laissa prendre. Seuls quelques proches, à commencer par Jean Seberg et le jeune Diego, ses complices directs, Pierre Michaut l’intermédiaire, Martine Carré la secrétaire, les avocats et Robert Gallimard Jurent au courant de toute l’affaire et gardèrent un silence absolu. De bons lecteurs, anonymes, conservèrent des doutes, preuves de lectures à l’appui. Gary trouva la confirmation que, quoi qu’il écrivit sous son nom, il resterait toujours prisonnier de « la gueule qu’on [lui] avait faite ». Il avait eu raison de vouloir renaître sous la plume d’un pseudo autre.