Quant à son contenu, il est, sous une forme éclatée et apparemment incohérente, le récit de l’affaire Ajar dans ce que le public et les divers participants en ont su et telle que Gary et Paul Pavlowitch l’ont vécue, c’est-à-dire dans tous ses détails et tous ses rebondissements. Romain, dans son texte testamentaire, écrit que « tout, à peu de choses près, dans Pseudo, est roman ». En réalité, l’air de rien, tout ou à peu près est là, mais réécrit par Gary qui reste égal à lui-même dans la dérision et la virtuosité, dans la pratique de l’illusionnisme ou de trapèze volant, mais qui se trouve dans un état d’angoisse rare.
Ainsi le choix du Danemark comme lieu de l’action est sans doute vraisemblable, puisque Paul y a effectivement reçu Simone Gallimard puis Yvonne Baby. Mais il est faux, Gary a raison, c’est du roman. Tout le reste, mis à part un autre rendez-vous en Suisse, a eu lieu à Paris. En revanche ce choix correspond à d’autres motivations, profondément garyennes. Le Danemark, comme tous les pays d’Europe, à partl’Angleterre et la Suisse, fut occupé par les nazis pendant la guérir. Son roi, Christian X, refusant de partir en exil demeura parmi son peuple et s’opposa à toute discrimination contre ses compatriotes juifs. Il se réserva même ce que Modiano a appelé « la place de l’étoile » : il menaça de porter lui-même l’étoile jaune si on l’imposait aux Juifs danois, sauvant ainsi l’honneur de l’Europe, Le Danemark, la Suisse, un rêve d’exterritorialité parcourt toute l’œuvre de Gary sous ses deux noms, un endroit où chacun pourrait enfin être à l’abri. Dans la vie de Gary, dans son œuvre et dans l’affaire Ajar qui appartient aux deux, tout est toujours surdéterminé, tout fait signe, tantôt du côté de son imaginaire comme ici, tantôt du côté du réel. Par exemple si Zazie dans le métro est cité de façon bien visible, c’est parce que Raymond Queneau a été soupçonné d’être Ajar. Ou si le narrateur insiste, on se demande pourquoi, sur l’expression « gauloises bleues », c’est parce qu’il s’agit du titre du film réalisé par Michel Cournot soupçonné lui aussi par les médias, les deux allusions voisinant d’ailleurs dans le texte. Et même si ce ne sont que deux détails, on est sans le savoir dans l’affaire Ajar.