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— Docteur, c’est infâme. Je connais maintenant la raison de tous mes efforts pour fuir mon identité, la cause de toutes mes angoisses et pipis de peur, de ma culpabilité et de mon refus de l’hérédité. Je suis juif, docteur, d’où haine de soi-même et racisme à son propre égard. D’où, nœud sur nœud, invention en chaîne d’identités qui n’ont pas donné le Christ au monde et ne risquent donc pas la persécution et la rancœur haineuse des chrétiens qui ne nous pardonnent pas de leur avoir collé sur le dos le Jésus avec toutes ses exigences, une morale, une dignité, une générosité, une fraternité et les servitudes que cela leur impose. Ce n’est pas parce que je me suis branlé, c’est parce que je suis juif !

— Ne me faites pas chier au milieu de la nuit ! gueula en hébreu le docteur Christianssen, car la marée d’angoisse qui me soulevait multipliait contre moi les antécédents d’origine et les preuves irréfutables, avec Israël qui lançait à mon assaut ses éléments avancés, chargés de la récupération, si bien qu’il n’y avait pas un Juif sur terre qui ne se sentait pas menacé de vérité et d’appartenance. Ne me faites pas chier, Pavlowitch, nom parfaitement yougoslave, je vous donne des facilités inouïes pour vivre à Copenhague aux frais de votre Tonton, et si vous vous mettez à me réveiller à deux heures du matin pour me donner des preuves de lucidité, je vous déclare sain de corps et d’esprit et vous serez dans le même pétrin que tout le monde. Que vous continuiez à vous branler dans le noir pour déshonorer la masturbation en faisant des transferts de culpabilité sur son dos, très bien, la masturbation en a vu d’autres, elle est habituée à la dialectique. Mais foutez la paix aux Juifs, nous, les Danois, le roi Christian en tête, on a sauvé tous nos Juifs sous Hitler. N’essayez pas de mêler les Juifs à vos moyens de subsistance. Vous avez raison d’avoir honte de vos origines, mais le foutre, ça remonte bien plus haut qu’Abraham, et je n’ai jamais encore vu un foutriquet aussi proche du foutre originel que vous. Jamais rien vu d’aussi authentique à cet égard. Les Juifs ont essayé de se faire proclamer et certifier non humains depuis des siècles par les antisémites, mais ils n’ont pas réussi et tout ce que ça a donné, c’est Israël, et il n’y a rien de plus humain et de plus avoué que ça, Israël, mon vieux, une nation digne de ce nom, et il n’y a pas de preuve plus écrasante de caractère humain qu’une nation, mon petit python chéri qui n’est pas du genre, mon cher roulement à billes adoré, cendrier, plume, asperge et autres efforts à la noix pour vous refaire…

— Vive la France ! criai-je, car je ne voulais pas me sentir seul dans la honte.

— Je vais vous dire plus. Vous êtes le salaud le plus antiraciste que j’aie jamais soigné pour lucidité parmi les saints d’esprit, et ça vous pose deux milliards de petits problèmes. Allez vous rhabiller. Vous ne pourrez plus faire pseudo-pseudo : les vêtements, ça vous prouve.

Et il m’a raccroché.

J’ai dit à Annie d’une voix blanche sans allusion :

— Il dit que je suis normal.

— Bon, mais comme le normal n’est de toute façon pas normal…

— Mais il refuse de coopérer.

Annie est une fille du Lot, de souche terre à terre, et il y a des moments où ça la reprend, elle refuse alors de lutter jusqu’au bout et cède à ses origines de bon sens.

— Tu sais, Paul, on devrait peut-être se ranger, dit-elle. Avec deux bouquins déjà publiés, on peut peut-être vivre de ça, avec des avances d’éditeur, à Caniac. On n’a pas besoin de beaucoup d’argent, là-bas. Avec quinze cents francs par mois, à trois, on peut tenir dans les Causses. Ce n’est pas la peine de te rendre malade uniquement pour faire un troisième bouquin… Et puis le désespoir a déjà tout donné aussi, dit-elle.

C’est vrai, pensais-je. Et si j’essayais l’espoir ? Non, je refuse de verser dans la banalité. Ça fait peuple.

Mais l’espoir a continué à me tourmenter, c’est fait pour ça, je n’ai pas pu fermer l’œil de la nuit. Et dès le lendemain, comme par hasard, il y eut signe.

C’était dans le Herald Tribune. Je l’ai là, chacun peut voir.

Un loup s’était évadé du zoo de Munich et avait été retrouvé par une vieille dame, à la quatrième page. Lorsque les forces de police sont arrivées, la vieille dame caressait la tête du loup et celui-ci lui léchait la main.

Je ne suis sûr de rien, mais les loups sont peut-être en train d’évoluer dans le bon sens. Et les vieilles dames aussi. Ou peut-être était-elle une vieille paumée. Ce sont souvent les paumés qui trouvent.

Je ne crois pas au renversement des alliances. Les mots ont partie liée, ils sont tous devenus historiques, et l’expression « nourrir une vipère dans son sein » ne voudra sans doute jamais dire qu’elle vous témoignera ensuite de la gratitude. L’amour est seulement un mot qui chante mieux que les autres.

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