Le magnétophone m’enregistrait, les flics bourdonnaient, l’infirmière avait l’œil électronique, Madame Yvonne Baby attendait toujours à l’hôtel, je me suis retrouvé au milieu de la nuit à Paris par voie aérienne, j’avais mis Héloïse au bordel de la Goutte d’Or pour ne pas être raciste, chez les Nord-Africains. Je voulais savoir comment elle profitait de mon absence. J’ai été reçu par Madame Dora, la P-DG agréée, qui m’informa qu’Héloïse allait au mieux, qu’elle se faisait, comme les deux autres antiracistes de l’établissement, dans les quarante passes par jour, mais qu’elle avait attrapé la maladie, les flics, à cause de la recrudescence des poux à Paris, dans les journaux. J’ai en effet trouvé Héloïse en pleine forme, elle commença à me parler des satellites espions qui nous survolent sans cesse et enregistrent toutes nos pensées pour la CIA et le KGB, mais soudain, elle pousse un petit cri, et qu’est-ce que je vois ? Un flic qui rampe hors de son organe féminin où il était entré pour lui donner une contravention. L’autre fille, Nora, se grattait aussi tout le temps, ça la démangeait, parce que les flics s’étaient accrochés à ses poils, pour être à pied d’œuvre. Il y en avait aussi qui rampaient sur les murs, mais on ne pouvait rien faire pour désinfecter, parce que c’est les putes qu’on veut désinfecter, pas les flics. Il y avait même une des filles, Lola, qui avait eu deux côtes cassées dans le panier à salade, tellement c’était l’année de la femme. Il y avait un flic énorme, gigantesque, assis sur le canapé, dans toute sa force de l’ordre, qui s’était déchaussé et qui cachait les amendes dans ses souliers, lorsque j’entends une espèce de piaulement, le géant de l’ordre regarde dans son soulier, et qu’est-ce qu’il voit ? Un autre flic, un tout petit, qui essayait de le voler, il s’était laissé tomber du plafond dans le soulier et il a failli être écrasé. Le géant de l’ordre l’a ramassé, l’a grondé un peu pour la forme, l’a mis dans sa poche, et ils sont partis, après m’avoir traité de paranoïaque, parce que ça n’existe pas.
Le docteur Christianssen me dit que je faisais une nouvelle crise de réalité, avec l’angoisse normale dans ces cas-là. Il me conseilla de retarder ma rencontre avec Madame Yvonne Baby.
Tonton Macoute m’autorisa à prolonger mon séjour à Copenhague autant qu’il était nécessaire, malgré le fric que ça lui coûtait. Je savais qu’il ne faisait pas ça pour moi mais pour la mémoire de ma mère, je ne lui devais ainsi rien.
J’avais aussi des difficultés chronologiques que l’on aura remarquées, je remontais jusqu’aux enfants cathares que l’on faisait éclater contre les murs d’Albi et toutes sortes de massacres des innocents qui ont déjà traîné partout et qui ne peuvent plus servir à faire une œuvre originale.
Les électrochocs ont été abandonnés comme traitement de la réalité au Danemark, et on m’avait simplement mis à des doses sublimes de neuroleptiques.
J’avais peur des dobermans dans le jardin qui sont dangereux, même chez les chiens.
Le monde attendait, retenant son souffle qui n’arrivait plus jusqu’à moi, je respirais donc mieux, et je n’avais plus de nouvelles de Madame Yvonne Baby.
J’étais autorisé à quitter la clinique pendant une heure chaque après-midi et j’en ai profité pour faire un saut à Barcelone et m’engager dans les Brigades internationales, mais j’ai eu un choc en arrivant parce que des éléments incontrôlés avaient déterré les momies des religieuses dans le cimetière d’un couvent et les promenaient sur des chars de carnaval pour démystifier l’athéisme. Je m’attendais si peu à un tel accueil que je me suis mis à hurler et je suis revenu en courant à la clinique.
J’étais toujours en proie à mes tendances humanitaires, avec espoirs de naissance et horreur du foutre. J’envoyais chaque matin, au professeur Wall, aux États-Unis, le chercheur qui avait créé un gène artificiel, garanti sans origine, un télégramme que je n’expédiais pas, demandant au savant des nouvelles de son pupille.
Le docteur Christianssen me remit à l’halopéridol et mes hallucinations, sans disparaître entièrement, prirent une forme moins pénible pour tout le monde.
Je fus autorisé à me rendre à un concert donné par le quatuor de Mörq, et au commencement tout se passa très bien, mais vers le milieu, je remarquai que le violoncelle grossissait à vue d’œil, et brusquement il a éclaté et il en est sorti une nichée de petites mandolines et Dieu sait pourquoi pas des petits violoncelles, comme la logique l’exigeait, qui criaient tous « papa, au secours, je ne veux pas venir au monde, au secours ! » et puis une nuée de flics à matraques qui se mirent à voler dans la salle et s’agglutinèrent autour de moi et je me suis mis à hurler de peur parce que j’avais des choses à me reprocher, j’avais garé ma voiture à un stationnement interdit.