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Ajar se défendait comme un lion. Mais il y a toujours avec Nini la tentation de se laisser faire, pour accéder enfin au fond du néant, là où se trouve la paix sans âme ni conscience. La seule chance qu’avait Ajar de s’en tirer était de bien prouver son inexistence, son état bidon pseudo-pseudo, son absence absolue d’état humain digne d’être infecté par Nini, car le néant ne baise jamais le néant, pour des raisons techniques. Ou bien au contraire, de trouver sur le champ de bataille quelque chose de vrai et d’alabri, d’à l’abri, je veux dire, le chevalier Bayard d’Alabri sans peur et sans reproche, face à Nini cul-de-dragon, à l’abri de tout creux et de vide, où Nini se réfugie pour pondre et déposer ses œufs afin qu’ils envahissent tout de leur pourriture néantiste. Je tenais la main d’Annie dans la mienne comme dans les plus vieux clichés d’amour qu’aucune agrégation n’a encore réussi à désagréger. Je pensais à ceux qui s’aiment et Nini se tordait par terre dans d’atroces coliques, et ne parvenait plus à trouver le creux dans la fameuse sombre et sonore citerne qui sonne dans la mort une vie toujours future.

Je m’en étais tiré encore une fois. Ce n’était pas la dernière. Entre la vie et la mort, c’est la lutte des procédés littéraires.

J’étais irrité parce que Tonton Macoute ne venait plus me voir, ne me téléphonait pas, me persécutait de Paris de son indifférence. J’en parlais avec Annie, mais cette fille du Lot avait la solidité des origines familiales à toute épreuve.

— Il est occupé.

— Je sais qu’il est occupé, des pieds à la tête. Par lui-même. Il pourrait refaire un peu de Résistance, non ? Ce serait le moment. Mais pas un mot, rien. Je peux crever.

— Il t’aime beaucoup.

— Tu parles. Je ne comprends pas du tout ce qu’il me reproche.

— Il ne te reproche rien.

— Oui, il s’en fout.

— Tu lui dis des vacheries chaque fois que tu le vois.

— J’essaye toujours de parler à l’envers, pour arriver peut-être à exprimer quelque chose de vrai.

— Mais il comprend ça très bien, il t’a toujours encouragé à écrire, à faire une œuvre littéraire…

Je répétais, foutu pour foutu, littérature pour littérature :

— Je parle à l’envers pour essayer de dire quelque chose d’authentique…

— Oui, mais comme lui ne parle pas à l’envers et qu’il croit même que l’envers vaut l’endroit, vous devriez réussir à vous comprendre. Si tu parles à l’envers et lui à l’endroit, je ne vois vraiment pas ce qui vous sépare, où est la différence et ce qui vous empêche de vous comprendre…

— Je ne lui demande pas de me comprendre, surtout pas. Je ne le demande à personne. Il ne manquerait plus que ça. Ce n’est pas la peine de me dire des horreurs.

— Mais qu’est-ce que tu lui demandes, alors ?

— Rien.

C’était faux, mais pas assez pour être convaincant. Elle sourit.

— Vous me faites marrer, tous les deux. On dirait un père et un fils.

Là, j’ai éclaté.

— Nom de Dieu, je t’interdis de dire des conneries pareilles !

— Tu n’as pas à m’interdire de dire des conneries. C’est l’année de la femme. Nous avons les mêmes droits que vous.

— Ce type-là, s’il était vraiment mon père, ce serait un salaud sans excuses. On ne fait pas ça à un mec.

— Quoi ? Qu’est-ce qu’il t’a fait ?

— Rien. Je sais. Il ne m’a pas engendré et il ne m’a pas adopté, quand j’avais douze ans. Il n’a rien à se reprocher. Mais c’est ce qu’il me fait un peu trop sentir. Irréprochable. Ça n’existe pas, irréprochable. Quelque part, au fond de lui-même, c’est une ordure. Les types irréprochables, c’est des types qui s’ignorent.

— Je ne crois pas qu’il s’ignore. Il a toujours l’air un peu triste ou un peu ironique.

— Ironique, en 1975 ? Il faut être une belle salope.

— Nous sommes en 1976.

— C’est la même chose. Du surplace.

— Ne recommence pas, Paul. Le petit chat est mort. On ne peut le ressusciter. Ni toi, ni lui, ni personne.

Je me suis tu. Elle avait raison. Tous les petits chats meurent parce qu’ils grandissent.

J’ai appris aussi du docteur Christianssen quelque chose d’inattendu. J’ai appris pourquoi Tonton Macoute venait se faire désintoxiquer dans la clinique de Copenhague.

Ce n’était pas les cigares.

C’était pour parvenir à ne plus écrire.

J’étais stupéfait. Je crois que ce fut un des plus petits étonnements de ma vie. Je m’étais trompé. Ce n’était pas un Don Juan de pute de séduction littéraire de vitrine. Il luttait pour être vraiment. Il aspirait, comme moi. Il voulait la fin de l’utopie.

Je me suis encore défendu un peu. J’ai dit à Annie :

— Ce mépris qu’il a pour l’herbe, pour la drogue, pour l’alcool… Il ne veut à aucun prix se sentir différent, séparé de lui-même… L’égomanie. L’alcool ou la drogue, tu vois, ça le rendrait différent, quelqu’un d’autre, et ça, à aucun prix… Il s’aime passionnément et il évite toutes les séparations.

— Je n’ai jamais rien compris à vos rapports, dit Annie. C’est incestueux.

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