Lorsque les nazis ont exigé le port de l’étoile jaune des Juifs danois car ils sont partout, le roi Christian leur a annoncé qu’il allait lui-même s’affubler d’une étoile jaune et parcourir ainsi Copenhague à cheval.
C’est une des raisons pour lesquelles je me fais soigner au Danemark.
Quand Madame Yvonne Baby est arrivée, j’étais entouré de tous les miens.
Mon père, qui venait du Monténégro, est mort à Nice d’un éclat de rire qui a provoqué une hémorragie interne. Il devait penser à la bonne blague qu’il m’avait faite. C’était un homme qui avait le rire le plus fort et le plus formidable qu’on puisse imaginer, parce qu’il avait besoin de toute la puissance du rire pour minimiser. Il était chauve. À part ça, il buvait trente apéritifs par jour, sans parler du reste. Après, il était capable de tout avaler. Après, des digestifs, pour tout digérer. Après, quand il éclatait de rire, je courais me cacher, parce qu’avec lui, c’était tout le contraire, et tout à l’envers. D’abord le tonnerre et ensuite la foudre. Ma mère était là aussi, pour accueillir l’envoyée du monde, mais je n’ai plus à en parler ici, je m’en suis déjà servi. Il y avait Alyette, qui s’était déguisée en Annie, et nous fit même du café, pour plus de réalisme. Il y avait aussi Ajar, qui ressemblait à une bête à bon Dieu d’un mètre soixante-quatorze et qui essayait de trouver une sortie de secours. Il y avait des extincteurs rouges d’incendie et des sirènes d’alarme. Il y avait Madame Simone Gallimard, qui ajoutait à l’évidence, car il m’était difficile de nier devant mon éditeur que j’avais exploité ma mère jusqu’au dernier souffle, jusqu’à son dernier cri pour en faire un livre. Personne ne pouvait plus nier que j’étais un auteur à part entière.
Mon grand-père maternel était une espèce de géant cosaque dont je garde précieusement la photo en capitaine de sapeur-pompier de la bonne ville de Koursk. Je me suis laissé pousser des moustaches comme les siennes et j’ai toujours eu un faible pour les extincteurs d’incendie.
Mon grand-père Ilya était un joueur invétéré. Sa vie s’est écoulée entre la carte et la roulette et tous les jeux de hasard que l’on peut imaginer et dont il avait dressé une liste peu de temps avant de mourir. Ma mère me racontait que lorsqu’il était déjà à demi paralysé, il passait ses jours à lire et à relire la liste pour se donner encore un peu de plaisir en évoquant les noms magiques de jeux, comme
Grand-père Ilya ne fut pas inquiété, mais la société de pétrole, malgré l’absence de preuves, l’avait quand même viré. Il est alors allé s’installer en Allemagne où, prenant le taureau par les cornes, il avait ouvert à Berlin un salon de jeux clandestins et gagnait des sommes énormes, qu’il s’empressait d’aller perdre dans d’autres salons de jeux clandestins. Il avait épousé une juive profondément croyante qu’il martyrisait, parce qu’il l’accusait de prier pour lui à la synagogue, ce qui rendait la chance absolument furieuse, car la chance était entièrement du côté du péché, le jeu étant très mal vu du côté de la religion. Grand-père Ilya fut expulsé d’Allemagne, après avoir signé des chèques sans provisions, pour payer ses dettes ; il payait toujours ses dettes, c’était un principe, chez lui. Il s’est retrouvé avec un peu d’argent à Monte-Carlo où il mit au point une martingale : il avait une bijouterie à Nice et chaque fois qu’il perdait tout à la roulette, il mettait le feu à son magasin et touchait l’assurance. La martingale s’est révélée payante mais à la deuxième mise – une bijouterie rue de la Buffa, Mascotte – il avait tellement bien mis le feu qu’il faillit mourir asphyxié. C’est ainsi qu’il prit un associé. Mais au troisième incendie, les assurances firent une crise de méfiance à laquelle vint s’ajouter la grande crise de 1929, et grand-père Ilya se trouva sans moyens de jeu. Ce fut alors sa fille, ma mère, qui ouvrit une bijouterie, Au Rubis, rue de France, à Nice également. Mais elle n’y a jamais mis le feu pour toucher les assurances, car c’était une femme qui était devenue profondément honnête sous l’influence de son père. Elle lui donnait dix francs par jour pour jouer.