Читаем Révolte sur la Lune полностью

À son éveil, sa voix semblait rauque, enrouée, difficilement compréhensible. Elle avait maintenant gagné en clarté, tandis que le choix de ses mots et de ses phrases procédait d’une certaine logique : il était familier avec moi, un peu pédant avec Prof, galant avec Wyoh… des nuances que l’on rencontre en général seulement chez les adultes.

Mais aucun bruit de fond. Un silence de plomb.

Nous nous sommes donc attachés à y remédier. Mike n’a eu besoin que de quelques indications. Il n’a pas exagéré les bruits de respiration, que l’on ne remarque jamais en général. À la place, il s’est permis de petites remarques : « Désolé, Mannie, je prenais un bain quand le téléphone a sonné », et il faisait entendre une respiration haletante. Ou bien : « J’étais en train de manger… je termine ma bouchée. » Et il le faisait même avec moi, dès l’instant où il a entrepris d’être un « corps humain ».

Nous nous sommes retrouvés tous ensemble dans la chambre du Raffles pour décider de l’apparence qu’aurait Adam Selene. Quel âge lui donner ? À quoi ressemblait-il ? Était-il marié ? Où vivait-il ? Quelle situation avait-il ? À quoi s’intéressait-il ?

Nous avons décidé qu’Adam avait la quarantaine, en bonne santé, vigoureux, bien élevé, qu’il s’intéressait aux arts et aux sciences, se montrait très calé en Histoire, excellent joueur d’échecs, mais qu’il n’avait guère de temps à consacrer au jeu. Marié selon l’usage le plus ordinaire – une troïka où il était le mari-aîné – il avait quatre enfants. Sa femme et le mari cadet ne faisaient pas de politique, pour ce qu’on en savait.

Il avait une beauté un peu sauvage, avec des cheveux ondulés poivre et sel ; il était métissé – seconde génération d’un côté, troisième de l’autre – et riche, d’après les normes lunaires : il avait des intérêts aussi bien à Novylen qu’à Kongville ou à L City. Ses bureaux se trouvaient à Luna City ; il y embauchait une douzaine d’employés, sans compter son cabinet personnel composé d’un secrétaire particulier et d’une assistante.

Wyoh voulait savoir s’il couchait avec son assistante. Je lui ai rétorqué de ne pas s’en occuper, que je trouvais ça indiscret. Wyoh a répliqué avec indignation que telle n’était pas son intention – n’étions-nous pas en train d’essayer de créer les contours d’un personnage ?

Nous avons décidé que ses bureaux se trouvaient au troisième étage du Vieux Dôme, côté sud, en plein cœur du quartier des finances. Si vous connaissez Luna City, vous vous rappellerez qu’à cet endroit, certains bureaux ont des fenêtres par lesquelles on voit le sol du Dôme ; j’en avais besoin pour produire des effets sonores.

Nous avons dressé un plan des installations. Si un tel bureau avait existé, il se serait trouvé entre Aetna Luna et Greenberg & Co. J’ai utilisé mon magnétophone portatif pour enregistrer les bruits ambiants du lieu : Mike en a ajouté en mettant les téléphones des environs sur table d’écoute.

Ainsi, lorsqu’on appelait Adam Selene, on pouvait entendre des bruits de fond. Quand « Ursula », son assistante, prenait la communication, elle récitait « Selene Associés. Luna sera libre ! » Puis il lui arrivait de dire : « Voulez-vous attendre un instant, gospodin Selene est occupé sur une autre ligne », sur quoi l’on percevait le bruit d’une chasse d’eau et l’on savait immédiatement qu’elle venait de raconter un petit mensonge. Ou bien Adam pouvait répondre : « Ici, Adam Selene. Luna Libre. Une seconde, je vous prie, que je coupe la vidéo. » Parfois, un autre personnage répondait : « Ici Albert Ginwallah, secrétaire particulier d’Adam Selene. Luna Libre. S’il s’agit d’un problème concernant le Parti… et je suppose que c’est le cas, je vous prie de m’indiquer votre pseudo. Allons, n’hésitez pas, c’est moi qui m’occupe de ces questions pour le compte du président. »

La dernière formule constituait un piège car chaque camarade avait reçu l’ordre de ne parler qu’à Adam Selene en personne. On ne cherchait jamais à réprimander celui qui n’appliquait pas la consigne, mais on avertissait immédiatement son chef de cellule de ne pas lui faire confiance pour les questions vitales.

Les répercussions ne se sont pas fait attendre. « Luna Libre ! » ou « Luna sera libérée ! » sont devenus des slogans chez les jeunes, puis chez les citoyens plus établis. La première fois que j’ai entendu un de ces slogans pendant une conversation d’affaires, j’ai failli en avaler ma langue. J’ai ensuite appelé Mike et je lui ai demandé si mon correspondant appartenait au Parti. Ce n’était pas le cas. J’ai donc recommandé à Mike de faire des recherches dans le réseau du Parti pour voir si quelqu’un pouvait le recruter.

Les échos les plus intéressants, nous les trouvions dans le dossier « Zèbre ». Adam Selene, dans les archives du chef de la police, ne se présentait pas comme le Sélénite modèle que nous avions créé, plutôt comme le pseudo du chef d’un nouveau mouvement clandestin.

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