Comme je viens de le dire, ces politiciens qui tenaient d’eux-mêmes leur légitimité essayaient par tous les moyens de se faire entendre d’Adam Selene. Mais Prof leur avait trouvé une bonne occupation : ils ont tous été priés de prendre part au « Congrès
— L’Histoire vous regarde.
Au bout de quelques sessions, j’ai demandé à Prof à quoi tout ça rimait, nom de Bog !
— Je croyais que vous ne vouliez pas entendre parler d’un gouvernement ? Avez-vous entendu toutes les bêtises qu’ils racontent depuis que vous les avez relâchés ?
Il m’a souri, de son plus beau sourire.
— Qu’est-ce qui vous ennuie, Manuel ?
Beaucoup de choses m’ennuyaient. J’en avais assez de m’éreinter de toute part avec ces foreuses, d’apprendre aux hommes à s’en servir comme s’il s’agissait de canons, et de savoir que tous ces fainéants passaient des journées entières à parler d’immigration. Certains demandaient son arrêt total. D’autres voulaient la taxer et fixer les impôts à un tarif suffisant pour financer le gouvernement (alors que 99 % des Lunatiques avaient été déportés !) ; certains encore voulaient une immigration sélective, tenant compte de « quotas ethniques » (et moi, comment m’auraient-ils défini ?). D’autres entendaient réserver l’immigration aux femmes jusqu’à ce que la parité soit atteinte. Cette proposition avait fait hurler un Scandinave : « D’ac, mon vieux ! Dis-leur de nous les expédier ! Des milliers et des milliers de putains ! Je les épouserai toutes, promis ! »
La remarque la plus intelligente de tout l’après-midi.
Une autre fois, ils ont discuté du « temps ». C’est vrai, le temps de Greenwich n’a aucune relation avec celui de Luna : pourquoi nous en servirions-nous puisque nous vivions dans le sous-sol ? Mais montrez-moi un seul Lunatique qui soit capable de dormir, puis de travailler, deux semaines d’affilée ; les mois lunaires ne conviennent pas le moins du monde à notre métabolisme. Ce qui importait, c’était de définir une lunaison qui équivaudrait exactement à vingt-huit jours (au lieu de 29 jours, 12 heures, 44 minutes et 2,78 secondes), en allongeant les jours – et les heures, les minutes, les secondes, divisant ainsi les demi-mois lunaires en exactement deux semaines.
Certes, le mois lunaire a son utilité pour beaucoup de choses : pour effectuer des contrôles en surface, pour nous donner des raisons d’y aller, pour nous dire combien de temps y rester. Pourtant, outre l’inconvénient de nous déphaser par rapport à notre seul voisin, cela modifierait aussi toutes les données scientifiques, tous les calculs industriels. Est-ce que cet immense crâne vide y avait pensé ? Moi qui suis électronicien, j’en ai frémi. Abandonner tous les livres, toutes les tables de conversion, tous les instruments et recommencer ? Je sais bien que certains de nos ancêtres l’ont fait quand ils ont abandonné les anciennes unités anglaises pour adopter le système métrique, mais ils ont agi ainsi pour se simplifier la vie. Quatorze pouces dans un pied, je ne sais combien de pieds dans un mile. Les onces et les livres… oh, Bog !
Cela avait eu un sens de changer tout ça… mais pourquoi diable sortir des chemins battus pour engendrer la confusion ?
Quelqu’un voulait créer un comité chargé de définir avec exactitude la nature du langage lunaire, afin de coller une amende à tous ceux qui parlaient l’anglais terrestre ou quelque autre langue d’en bas. Ah ! mon pauvre peuple !
J’ai lu les propositions d’impôts dans le
Je n’avais pas vraiment imaginé que « Luna Libre » allait introduire des impôts. Il n’y en avait encore jamais eu et ça marchait plutôt pas mal ainsi. On payait pour ce que l’on avait. Urgcnep ! Comment faire autrement ?
Une autre fois, un pompeux jeunot a proposé que la mauvaise haleine et les odeurs corporelles constituent un motif d’élimination : là, je ne pouvais que le comprendre, car il m’était arrivé, en capsule, de vraiment souffrir des puanteurs environnantes. Bon, ça n’arrive pas si souvent et on peut y remédier ; et les coupables chroniques, ou les malheureux qui n’ont pas la possibilité de se corriger, n’ont de toute façon pas de grandes chances de se reproduire.