Читаем Roses à crédit (Lecture à domicile) полностью

C’est cet hiver-là où Cécile attendait un enfant que Martine acheta à crédit une machine à laver. Elle n’avait plus rien acheté depuis longtemps, depuis qu’elle avait gagné les cinq cent mille francs et payé les traites les plus ennuyeuses. Et, soudain, voilà qu’elle se remettait à acheter à tour de bras[263] ! Et comme elle n’avait pas le temps de faire marcher la machine à laver et de repasser elle-même, il lui fallut, en plus, prendre une femme de ménage. La première femme de ménage de toute sa vie, jusqu’ici tous les travaux domestiques elle les avait faits elle-même.

Ensuite elle acheta une salle de séjour, en rotin[264]. Le prix en était exorbitant, déraisonnable ! Mais ces meubles, elle en avait besoin : il n’était pas rare maintenant que l’on vînt pour une partie de bridge chez Madame Donelle, et des gens très bien, très chics. Cela avait commencé par une invitation chez une de ses clientes, une bridgeuse acharnée… drôle d’idée avait grogné le mari de la dame, un haut fonctionnaire du ministère des Finances, inviter sa manucure ! Il changea d’idée en voyant Martine, si belle, et, pour le bridge, sensationnelle. De fil en aiguille[265], Martine fit connaissance avec les amis de sa cliente et les amis des amis… On l’invitait à dîner avant le bridge, à souper après. En dehors du jeu ces relations ne devenaient ni amicales, ni intimes.

Elle ne voyait que rarement les siens. Dans sa nouvelle place, elle ne s’était point fait d’amis et, au bout du compte, le bridge était encore son lien le plus sûr avec l’humanité. Elle sortait, elle recevait… De là, l’idée de meubler à neuf son appartement. Martine avait vu maintenant des « intérieurs » des hôtels particuliers avec des meubles anciens et modernes, le luxe, la qualité. Elle était sûre qu’on devait se moquer d’elle, de sa salle à manger-cosy.

Il lui fallait des meubles qui la feraient passer d’un panier à l’autre[266], pensait-elle. Si Daniel était revenu comme avant, elle n’aurait eu besoin de rien… Mais Daniel se contentait de lui rendre une petite visite de temps en temps. Martine adhéra à un club de bridge et elle acheta une voiture. Il lui avait fallu, pour la voiture, emprunter de l’argent à l’une de ses clientes.

Au salon de coiffure la patronne lui avait déjà dit avec un certain étonnement où perçait l’inquiétude : « Vous en achetez des choses, Martine ! On vient à chaque instant me demander le montant de votre salaire[267] et si vous êtes une employée sérieuse… Je ne comprends pas comment vous vous en sortez ! Vous êtes sérieuse, c’est vrai, mais point millionnaire, ou vous ne vous mettriez pas manucure[268]. »

Dans le nouveau salon de Martine, les invités, avant le jeu admiraient l’appartement, la façon dont tout était prévu pour le moindre effort. Ils s’émerveillaient de voir comment à Paris on pouvait créer avec trois sous un intérieur ravissant ! En allant se laver les mains, on remarquait avec discrétion le pyjama du mari, de ce mari toujours invisible, mythique. Les cocktails, les sandwiches, les petits fours étaient parfaits, ainsi que le souper froid. « Une maîtresse-femme »[269], disaient les partenaires de Martine. Mais il est certain que si un jour, elle avait eu l’idée Saugrenue d’aller voir quelqu’un d’entre ces gens, hommes ou femmes, si elle était venue leur dire : « J’ai des ennuis… », « Je suis malade… » ou « Mon mari me trompe, je suis malheureuse… » ils n’en seraient pas revenus d’étonnement[270]. Martine était devenue pour eux, finalement, quelque chose comme le jeu de cartes lui-même.

Il y avait Ginette. Martine n’oubliait pas que Ginette ne l’avait pas abandonnée lors de cette affreuse histoire, quand Mme Denise l’avait chassée. Mais les rapports avec Ginette n’étaient pas faciles, elle était devenue une femme hystérique, tantôt elle vous embrassait, tantôt elle pleurait, tantôt elle devenait hargneuse… Des ennuis avec son fils qui s’était fait mettre à la porte du lycée. Mais ce n’était pas une raison pour passer du rire aux larmes et des larmes au rire, avec cette facilité. Il y avait certainement un homme là-dessous, et, comme toujours, cela ne devait pas marcher. Elle en devenait parfois odieuse, ne s’était-elle pas un jour permis de demander à Martine :

— Pourquoi ne divorces-tu pas ?

Martine sentit un éclair lui traverser le corps en zigzag. Elle n’avait jamais pensé au divorce, mais cette idée pouvait bien venir à Daniel, si elle était venue à une étrangère…

— Qu’est-ce qui te fait poser cette drôle de question ? dit-elle à Ginette.

— Drôle ? Elle me semble normale. Vous ne vivez pas ensemble. Vous devriez chacun refaire votre vie. Tu n’as plus vingt ans. Plus ce sera tard, plus tu auras du mal à trouver un autre homme… Comme moi.

Ils ne vivaient pas ensemble, c’était vrai… Qu’est-ce que cela changeait ? Rien, pour Martine. Un autre homme… Refaire sa vie ! C’était risible, c’était à se tuer !

— Tu ne comprends rien à rien, ma pauvre Ginette ! dit-elle, supérieure.

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Юрий Петрович Щекочихин

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