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Tristan zappe pendant la tranche horaire la plus difficile à négocier de la journée, de 18 à 19 heures, quand les chaînes sortent leur artillerie lourde pour fourguer un maximum de pub à l'heure où toute la famille est réunie devant la télé dans l'attente du 20 heures. Tristan est très loin de tout ça, cette agitation vespérale le trouble. J'ai déjà essayé d'étudier son zapping sans parvenir à comprendre sa logique. Les clips et les infos l'insupportent plus que tout; en un battement de cils, il est capable de foutre en l'air une bande de rappers et leurs trois tonnes de décibels, ou de couper la chique à n'importe quel individu qui s'aviserait de lui donner des nouvelles du monde. Il n'est pas fanatique de la pub et préfère, en attendant mieux, stationner quelques secondes sur un documentaire animalier ou une engueulade de talk show. Il déteste les dessins animés et les reportages sur les grands espaces. Il évite les images d'archives sur la guerre et les tirages de loto. En revanche, la météo l'intrigue même s'il ne sort jamais. Il regarde entièrement les émissions sur l'actualité du cinéma et les bandes-annonces des sorties en salle. Tôt le matin, en attendant que la journée démarre, il peut s'attarder sur les chaînes de télé-achat ou les recettes de cuisine. Tout ce fatras d'images n'est rien qu'une ponctuation dans sa recherche frénétique de fiction. Le cinéma est prioritaire sur tout le reste. Un mauvais film vaut mieux qu'une bonne série américaine, une mauvaise série américaine vaut cent fois un feuilleton européen. Mais il peut lâcher très vite un épisode qui semblait le passionner pour s'arrêter quelques secondes sur un soap brésilien ou une série pour adolescents. Sur quoi, il va revenir à son feuilleton qui ne souffre pas du quart d'heure manquant, au contraire. Tristan a tout simplement laissé les personnages faire connaissance pendant que l'intrigue se noue. Ça lui permet de réapparaître au moment où il se passe vraiment quelque chose. Il est donc capable de négocier plusieurs histoires à la fois en ne gardant que le meilleur. Ma présence ne le déconcentre pas. Lé spectacle qu'il offre a quelque chose de vertigineux. Je sens une machinerie en branle à la manière d'un computer ultra-perfectionné qui analyserait les cas de figure, effacerait tous types d’impasses narratives et listerait les possibilités fictionnelles. S'il reste sur la même histoire sans avoir envie d'aller voir ailleurs, c'est qu'il a enfin retrouvé le plaisir du gosse qui se laisse embobiner par le conteur. Et là, toutes ses facultés d'anticipation ne lui servent plus à rien.

Le plus souvent allongé sur le dos, il garde toujours la télécommande en main. Parfois il pivote sur le ventre pour étirer sa colonne vertébrale puis revient à la position initiale. Plus rarement, il tourne le dos à l'écran et ferme les yeux. On sait qu'il va s'assoupir quelques minutes tout en écoutant les dialogues du film, c'est la condition sine qua non du sommeil. Preuve supplémentaire que seule la fiction peut vous entraîner sans heurt au pays des songes. Le reportage, lui, ne peut conduire qu'à l'insomnie. Tristan ne sourit ni ne rit jamais, son regard reste impassible en toutes circonstances. Seule sa télécommande réagit. De temps en temps, il me fait penser à un gosse idiot, le nez collé aux mystères d'un aquarium, ou à un vieillard qui oublierait sa propre mémoire devant un feu de bois.

– Tout môme, il était déjà comme ça.

Jérôme est là, en sueur, le boomerang à la main. Il ouvre une petite bouteille de vodka rouge et me la tend avec un gobelet.

– De son lit, il me voyait partir jouer avec les potes, en bas. Seulement, quand je revenais, il fallait que je consacre un petit quart d'heure à lui raconter les conneries qu'on avait faites. Et puis, les jours où il ne s'était rien passé, il fallait que j'invente. Au début, c’était des trucs assez banals pour ne pas lui faire trop de peine.

Tristan a ses écouteurs plantés dans les oreilles. Sur l'écran se succèdent une série d'explosions qui dévastent un gigantesque musée d'art contemporain. Aucun danger qu'il nous entende.

– Et puis, ça a vite pris des proportions redoutables, les mômes en veulent toujours plus. Il a fallu que je lui raconte des faits d’armes, des péripéties de bravaches, des duels de cour de récré. «C’est le moins que tu puisses faire», me disait ma mère, toujours à deux doigts de me reprocher d'être en bonne santé. Je sais bien qu'on préfère toujours les canards boiteux mais là, elle poussait un peu, la vieille. Tristan et moi, on se complétait bien, j'avais envie de faire l'intéressant, il avait besoin de s'intéresser. À moi d'avoir du talent.

– C'est comme ça que tu es tombé dedans?

– Dans le scénar? Oui.

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