J'avais une certaine admiration pour Yvon Sauvegrain (le «French Wonder-boy» comme on l'appelle dans
Plusieurs écueils scénaristiques à surmonter: on ne peut rien prouver, cette ordure de Sauvegrain a Hollywood et le ministre de la Culture avec lui, et pour l'instant, Jérôme n'a pas le moindre sou vaillant à investir dans cette affaire.
Au cœur de la nuit, vodka aidant, à force de proposer des idées plus farfelues les unes que les autres, quelques pistes ont fini par se dessiner. Surexcité, Jérôme a tenu à clarifier ses notes et à les reformuler sous forme de synopsis.
– Je vais en avoir pour une bonne partie de la nuit, prends le canapé si tu n'as pas envie de rentrer.
J'ai décliné l'invitation et laissé les deux frangins seuls.
Aujourd'hui, j'ai le sentiment que la Saga a pris un chemin de traverse. Pourtant, aucun événement particulier n'est venu perturber notre quotidien. Je pense être le seul à avoir décelé un changement de cap.
La journée a commencé de façon plutôt banale, nous nous sommes retrouvés vers neuf heures ce matin pour corriger les broutilles des nos
16 et 17. Il est déjà 13 heures, les frères Durietz s'empiffrent de pizza mais Mathilde et moi préférons déjeuner dehors. «J'ai envie de changer», dit-elle sans oser avouer que l'odeur de la mozzarella gluante l'écœure. Le Vieux n'a pas envie de nous suivre. Mathilde en est comme soulagée, et je ne comprends pas pourquoi.Après tout, je n'ai jamais vu Mathilde qu'entre les murs du bureau, le plus souvent cachée par son écran, et je suis curieux de voir à quoi elle ressemble dans le civil.
Elle marche à petits pas rapides comme une vraie Parisienne et reste attentive au spectacle de la rue sans interrompre la conversation. Aujourd'hui, elle porte une robe rouille qui va parfaitement avec ses cheveux auburn dénoués sur les épaules. Elle a choisi le restaurant, une petite gargote qui garde un certain cachet malgré le vacarme des flippers. N'ayant jamais déjeuné avec une dame qui écrit des romans d'amour, je fais attention aux plats que je prends.
– Je suis ravie de ce tête-à-tête.
Un peu gêné, j'esquisse un geste de la main, entre «merci» et «moi aussi».
– On peut se tutoyer, Marco?
– Bien sûr.
– Ça me fait drôle de t'appeler Marco. C'était un latin lover dont j'ai raconté les succès dans
Hier, au beau milieu d'une séance de travail où nous mettions la dernière touche à une scène enflammée entre Jonas et Camille, la conversation a vite dérapé sur les rapports de couple et Mathilde s'est déclarée
–
– Comment s'appelle-t-elle?
– Charlotte.
– C'est mignon comme tout, Marco et Charlotte.
Nous restons là-dessus, le temps de piocher dans les crudités. Son tutoiement est terriblement emprunté, on dirait qu'elle fait des efforts pour réchauffer nos rapports au risque de brûler des étapes. Mais dans quel but?
– Où seras-tu, cette nuit?
– Cette nuit…?
– Oui, pendant la diffusion du Pilote.
– Nous sommes le… 12?
– Revenez parmi nous, Marco.
Oui, c'est pour cette nuit, à 4 heures du matin! Je suis trop jeune pour me souvenir du premier pas sur la lune, mais tous ceux qui étaient en âge de veiller savent exactement où ils étaient à cette minute-là. Ce soir, il va se passer un événement bien plus important pour mon avenir qu'un alunissage pour celui de l'humanité. Mais oui, c'est pour cette nuit! Nous ne serons que quatre à assister direct à ce tournant de l'Histoire, mais les générations futures évoqueront avec fierté la diffusion du premier épisode de
– Avec un peu de chance nous serons plus de quatre, je suis sûre qu'il y aura…
Elle cherche à terminer une phrase qui a débuté de façon si optimiste.
Qui y aura-t-il, à part nous?