Tout irait pour le mieux si Séguret ne devenait de plus en plus agaçant. Pour d'obscures raisons de planning et de coût, il nous fait changer des passages entiers, le plus souvent en dernière minute. Cet homme ne zappe pas avec une télécommande mais avec une calculette. Il nous est impossible de comprendre les raisons objectives de ce qu'il nous demande. Parfois c'est indépendant de sa volonté, comme hier, où un comédien a quitté la Saga sans prévenir pour tourner une pub qui va lui rapporter vingt fois plus en une seule journée de boulot. Le fax de la production disait: Meublez
pendant dix minutes, il nous les faut pour demain matin.– Dix minutes…
– Mais il est neuf heures du soir!
– J'ai envie de rentrer.
– J'en ai marre…
– Jérôme?
Excédé, Jérôme a dit qu'il donnerait à Séguret les dix minutes les moins chères du monde. Comme des lâches, nous l'avons tous abandonné. Ce matin, je suis le premier au bureau, curieux de savoir comment Jérôme s'en est sorti. Les frères Durietz dorment encore. Près du fax, je repère deux feuillets.
27. FENÊTRE. INT. NUIT
Marie et Walter, dans l'encadrement d'une fenêtre ouverte.
Durant toute la scène on ne les verra que de dos, dans un plan très rapproché, penchés à la fenêtre. On ne discernera ni l'intérieur de la chambre, ni ce qu'ils voient au-dehors dans la nuit noire.marie
: C'est gentil de m'avoir offert ce voyage à New York.walter
: Trois fois rien.marie
(regardant un instant vers l'intérieur de la chambre): Si j'avais pu imaginer un jour que je passerais une nuit dans la plus belle suite du Waldorf Astoria.walter
: Cet hôtel ne vous mérite pas, Marie… (il pointe le doigt vers le ciel), regardez plutôt cette superbe aurore boréale, voilà un spectacle digne de vous.marie
: Comme c'est beau, toutes ces couleurs incroyables, on a l'impression que Dieu a décidé de nous montrer son génie pictural… (elle pose sa tête sur l'épaule de Walter).walter
: Exactement! On dirait que De Kooning a peint la voûte céleste… Comme c'est splendide, cette arabesque autour de la Grande Ourse…marie
(interloquée): Mais…! Qu'est-ce que c'est… là, regardez…! Une étoile filante?Walter
: C'est une météorite qui va s'écraser droit devant nous! En plein New York!Marie
: Elle fonce vers ce building…W
alter : Elle va s'écraser sur l'Empire State…Marie (épouvantée): Nooooooooon…
On entend une déflagration, Marie et Walter se retournent
un instant, les mains sur les yeux, après un éblouissement terrible. Puis ils regardent à nouveau par la fenêtre.walter
: La boule de flammes se consume encore au-dessus de Manhattan!marie
: Wall Street est à feu et à sang…walter
: Regardez… La météorite a fait dévier la trajectoire de ce Boeing qui fonce droit sur la statue de la Liberté.marie
: Aaaaargh, il l'a décapitée!… Quelle horreur!walter
: L'avion s'écrase dans la ville et fait exploser des centaines de gratte-ciel sur son passage. C'est horrible…marie
: Pendant qu'au loin on voit encore ce feu d'artifice sublime tiré à Coney Island!walter
: Bienvenue à New York, Marie.