J'ai du mal à admettre qu'il s'agit d'un effet pervers dû à cette distance qui s'est créée entre Charlotte et moi. Les rares fois où nous nous croisons, toujours par hasard, je sens en elle une légitime envie d'engager une de ces guerres des nerfs qui en laisse toujours un sur le carreau. Il y a une dizaine de jours, je l'ai effleurée par inadvertance et elle a sursauté comme si son coude s'était brûlé en frôlant mon épaule. Un rejet tellement fulgurant, tellement instinctif que j'ai compris en un quart de seconde bien plus de choses qu'au cours de ces dernières semaines. Depuis, plus question de ronronner autour d'elle ou même de la voir nue dans la salle de bains.
Parallèlement à cette phase de mutité physique, j'ai remarqué que les diffusions nocturnes de la Saga produisent sur moi un efiei inédit. Lors d'une de mes nuits de découche, je m'en suis ouvert a Jérôme:
– Ça ne te fait rien, ces personnages de femmes qui s'abanonnent à tout ce que tu leur fais vivre?
– Une Garbo ou une Faye Dunaway, je ne dis pas, mais ce n'est Madame Sparadrap ou cette pétasse de Camille qui vont me faire grimper aux rideaux.
– Et leur intimité mentale?
– …?
– Prends, par exemple, la scène où Camille pète les plombs et tente de séduire Walter. Tu te souviens de ce qu'elle lui dit, là, dans la chambre?
– Pas vraiment.
– Elle lui fait comprendre qu'elle vient de s'épiler le pubis, juste pour lui, et qu'elle a relu Sade pour se préparer à cette rencontre. Elle ne le dit pas comme ça, mais c'est tout comme.
– Et alors?
– Quand je l'ai vue, cette scène, quand j'ai vu la fille qui joue Camille faire des effets de poitrine devant l'autre beatnik dégénéré, quand j'ai entendu toutes ces belles métaphores autour du sexe, je me suis demandé si nous avions le droit de nous servir d'elle comme d'un support à nos fantasmes. De jouer avec la libido des autres, même des personnages de fiction.
Il m'a regardé avec la circonspection du bon sauvage qui voit débarquer le missionnaire.
– Ça fait combien de temps que tu n'as pas sali des draps avec une fille, coco?
– …?
Pour garder une contenance, j'ai joué le type qui ne se prend jamais les pieds dans ce genre de poncif. Je me suis lancé dans une diatribe à la Guitry – la grandiloquence agacée, le paradoxe exubérant – pour dire que la pulsion libidinale n'était pas la seule ponse, quoi qu'en dise Freud. Le monde ne se partage pas en priapiques et en eunuques. Le mythe de l'homme gouverné par sa turgescence est une chimère de bigoterie, etc., et je suis rentré chez moi, persuadé de m'en être tiré la tête haute.
Je n’ai revu la question que le lendemain, quand Louis m'a demandé de relire une séquence.
23. CHAMBRE CAMILLE. INT. JOUR
– Tout y est, à ton avis?
– …
– Tu as l'air tout chose, Marco…
J'aurais été incapable de lui dire ce que j'avais lu en réalité.
23. CHAMBRE CAMILLE. INT. JOUR