La vaillante assemblée éclate de rire et Lagonfle arbore une bouille piteuse !
— Paie ta tournée et amène-toi, lui enjoins-je.
Il obéit sans rechigner. Lorsque nous sommes sur le trottoir, Sa Majesté essaie de plaider non coupable.
— M'en veux pas, San-A. Tu sais ce que c'est ? On cause, on cause…
— Et on cause préjudice à l'homme qui vous a fait nommer inspecteur principal. Apprendre ça lorsqu'on est au bord de la destitution c'est dur !
La bonne pomme se fout à chialer et à renifler.
— Fends-moi pas le cœur, San-A. Tu sais bien que je me jetterais au feu pour toi !
Puis, réalisant mes paroles :
— Comment ça, au bord de la destruction ! Qu'est-ce qu'y se passe ? Et puis d'abord comment ça se fait que tu n'es plus z'en vacances ?
— Ouvre un peu tes étagères à mégots, bonhomme !
Je le mets au parfum de ce qui se passe. Le Gravos, c'est pas Einstein, mais en matière d'enquête, il a de la jugeote.
Il m'écoute attentivement, poussant' parfois des « Gnouff, gnouff » de goret devant son auge pour marquer son intérêt.
— Tu vois, conclus-je. C'est la grosse faillite, me voici dans le cirage. Je me dis que j'aurais dû rester à Courchevel et chercher sur place. Franchement, Gros, j'ai un coup à vide !
Il me dépêche une bourrade affectueuse qui me fait descendre du trottoir.
— T'es toujours commak au début d'une affaire compliquée, et puis après ça se met à carburer, tu le sais bien !
Son œil globuleux est suintant d'une tendresse humide.
— T'as quand même un pion de réserve, me fait-il remarquer.
— Qui ?
— Riri Belloise, pardine ! C'est le lien qui te rattache à la mystérieuse bande, San-A., oublie-le pas !
— Mais je te répète qu'il ignore tout de ces gens !
— Ça reste à prouver ! Et puis en admettant qu'il les connaisse pas, eux le connaissent. Le lien que je te cause est peut-être à sens unique, d'accord, mais il existe !
Je file un regard éperdu à mon pote. D'un seul rétablissement il vient de reprendre sa place dans mon estime. Riri Belloise ! Mais oui,
Je fonce au burlingue et je réclame le « Sapin Bleu » à cor et à cris, et en priorité. Cent deux secondes plus tard, j'ai Riri à l'appareil.
— Ici San-Antonio. Il faut que tu rentres à Pantruche dare-dare, bonhomme. Je donne des instructions pour qu'une chignole te conduise à Genève. Où tu prendras un zinc pour Orly, O. K. ?
— Comme vous voudrez, m'sieur le commissaire.
Puis, timidement :.
— Vous avez des nouvelles de Lydia ?
—
Je raccroche.
— Et maintenant, fais-je à Béru : au Figaro !
— Tu veux te faire raser ? demande cet étourdi.
— Non, je veux publier une annonce !
— Tu veux vendre ta Jaguar ?
— Non plus. C'est la peau de Belloise que je brade !
Au début de l'après-midi de cette sombre journée, Belloise fait une arrivée discrète à Orly. Je le pique à la sortie de la douane. Il me virgule un sourire appétissant.
— Tiens, c'est gentil d'être venu m'attendre.
Mais ma mine sinistre le fait tiquer.
— Hé, dites donc, m'sieur le commissaire, c'est pas pour m'embastiller au moins ?
— Non, Riri, c'est pour t'apprendre une mauvaise nouvelle ! Tu es veuf !
De saisissement, il laisse tomber son étreint-en-ville sur l'asphalte du parking.
— Vous dites ?
— Que ta môme Lydia a trépassé, fils. Aie un peu de courage.
Il a les ratiches qui applaudissent. Des cernes gris soulignent son regard.
— Morte !
— A ne plus en pouvoir. Tu pourras lui acheter des chrysanthèmes. Console-toi en pensant qu'elle t'avait vraiment joué un mauvais tour. Car c'est elle qui avait changé les balles dans le Beretta.
— Qu'est-ce qui lui est arrivé ?
— Un chargeur de neuf millimètres dans le dos.
— Quel est l'enfant de salaud qui a fait ça ?
— Point d'interrogation à la ligne ! Mais fais-moi confiance, nous le saurons bientôt !
— Buter une fille comme elle, faut être sadique ou quelque chose dans ce genre, non ?
— Ecoute, Riri, ta bergère était mouillée jusqu'à la moelle dans cette affaire. Il y a longtemps que tu étais avec elle ?
— Non, quinze jours !
— Alors, c'est la bande qui l'avait collée sur ta route.
— Pourquoi qu'ils l'ont effacée, alors, si elle faisait partie de leur équipe ?
Tout en devisant, nous avons rallié ma chignole. Nous prenons place et je roule molo jusqu'à la sortie du parking où le préposé bouclé dans sa guérite de verre ramasse mon ticket.
— Hein, m'sieur le commissaire, insiste Belloise, pourquoi ?
— Parce qu'elle était en conversation avec moi et qu'elle commençait de s'affaler.
Il rugit.
— Dites donc, ce serait pas vous qui.. ?
D'un coup de coude dans le baquet, je le fais taire, sans lâcher mon volant.
— Traite-moi d'assassin,pendant que tu y es ! Ta Blanche-Neige te pigeonnait comme un pauvre lavedu que tu es, et tu es prêt à risquer le gnouf pour défendre sa mémoire ! Tu me fais marrer, hé, Bayard !
Nous nous dégageons et je plonge sous le tunnel.
— Si je suis venu te chercher, ça n'est pas pour te présenter mes condoléances, mais pour te demander ton concours en vue de la Kermesse que j'organise à la paroisse Royco !
Il hoche la tête.